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La reine Waltraud Berlin Staatsoper Unter den Linden 11/05/2000 - R. Wagner : Tristan und Isolde Christian Franz (Tristan), Waltraud Meier (Isolde), Rosemarie Lang (Brangäne), Andreas Schmidt (Kurwenal), Kwangchoul Youn (Roi Marke), Reiner Goldberg (Melot), Gunnar Gudbjörnsson (Voix d'un jeune matelot), Peter-Jürgen Schmidt (Un pâtre), Klaus Häger (Un barreur)
Harry Kupfer (mise en scène), Hans Schavernoch (décors), Buki Schiff (costumes), Franz Peter David (lumières)
Staatskapelle Berlin et Staatsopernchor, Daniel Barenboïm (direction) Daniel Barenboïm aimerait-il se faire désirer ? Alors que les rumeurs vont bon train sur son éventuel départ de Berlin dès l'année prochaine, le chef israëlo-argentin s'évertue cette saison à diriger des concerts tous les plus ébouriffants les uns que les autres, comme pour nous dire "écoutez ce que vous raterez quand je ne serai plus là". Et cette reprise d'un Tristan créé en ces mêmes lieux au printemps dernier lors du festival Wagner, ne faillit pas à cette règle de la surenchère. Dans cette partition qu'il a si souvent jouée, Barenboïm cherche en effet encore à nous surprendre par ses recherches sur les timbres. Mais ce sont surtout ses audacieux tempos qui retiennent l'attention, en particulier dans l'ouverture menée à un rythme royalement lent. Il est aidé par une Staatskapelle qui a rarement sonné aussi large, aussi riche, aussi précis, et dont les cordes furent ce soir-là particulièrement somptueuses. Qu'il est difficile de décrire le bonheur musical !
La mise en scène de Kupfer semble elle plutôt obéir au nouveau credo "économique" de la politique culturelle berlinoise (because réunification qui n'en finit pas), en s'organisant autour d'un décor unique. Décor représenté par un gigantesque ange surgissant à mi-corps, les ailes déployées mais la tête enfouie dans une enclume. Allusion évidente au pessimisme de l'oeuvre, mais qui a aussi son côté pratique, car cette grande hélice penchée évoque assez bien, au gré des orientations, les voiles du vaisseau de Tristan, le grand lit dans la chambre d'Isolde, les recoins du château de Kareol. Tout ceci ne serait cependant que du fonctionnel sans les éclairages absolument magnifiques de Franz Peter David. Dans les fins d'actes surtout, David arrive à inonder la scène d'une poésie crépusculaire et très subtile, assez proche de l'univers de Wieland Wagner mais aussi de la fameuse Phèdre d'Anne Delbée, donnée à la Comédie Française il y a une dizaine d'années et qui fut alors l'un de nos spectacles de chevet.
Waltraud Meier est incontestablement la reine de la soirée. La voir et l'entendre dans ce rôle qui lui va comme un gant, et dont elle restera comme l'une des plus grandes exploratrices, est un must pour l'amateur d'opéra comme pour le mélomane en général. De plus, elle semble enfin avoir gommé ces quelques blancheurs de timbre qui rendaient sa voix parfois un peu dure ces dernières années (et dont il reste d'ailleurs quelques traces dans son mild und leise, un brin acide). On lui reprochera cependant d'avoir les yeux un peu trop rivés sur son partenaire à la ville (Barenboïm, pour ceux qui ne seraient pas au courant) et non sur celui à la scène, dont elle est tout de même sensée être passionément amoureuse ! On croit très fort à cet amour dans les scènes où elle se confie à Brangäne (scènes où elle touche à un sublime presque continu), malheureusement nettement moins dans les scènes avec Tristan. Elle semble alors préférer se mettre à l'unisson de l'orchestre que de son partenaire, auprès duquel elle garde une certaine distance, refuse de s'abandonner, ce qui ne laisse pas d'irriter et aussi de distraire de la pureté de son chant finalement. C'est dommage.
On peut tout de même la comprendre, dans la mesure où le jeu de Christian Franz apparaît bien emprunté lors des deux premiers actes. Malgré un ténor sûr, vaillant et assez épatant pour le rôle, l'on ne peut s'empêcher de penser que son physique de grand bébé blond et joufflu et ses gestes un peu gauches conviendraient mieux à certains rôles "ruraux" de l'opéra allemand (type Max), qu'à ce personnage dont la portée est plus métaphysique. Mais alors, quelle métamorphose au troisième acte ! Véritablement habité par cette musique (l'une des plus fortes que Wagner ait écrites il est vrai), Franz vire complètement sa cuti joufflue et donne alors de la folie de Tristan une composition vickersienne, vertigineuse. Il paraît aussi presque transformé physiquement et sa voix, qui accusait encore quelques constipations aux deux premiers actes, se libère bien et prend alors des couleurs dramatiques tout à fait intéressantes. On se dit bien sûr que Meier n'est plus là pour le subjuguer, et donc qu'il chante bien plus à son aise.
La Brangäne de Rosemarie Lang semble en revanche bien incapable de se libérer de l'ascendant de son illustre et indomptable maîtresse. Chantant vraisemblablement en dessous de ses possibilités réelles, elle offre une interprétation assez conventionnelle et une voix manquant surtout de projection (en particulier dans "Einsam wachend in der Nacht", ce qui est bien dommage !). Dans le rôle ingrat de Kurwenal, Andreas Schmidt se montre émouvant vocalement, mais surtout excellent acteur. Kupfer souhaitait enrichir ce personnage de "fidèle lieutenant" en teintant ses rapport avec Tristan d'une certaine homosexualité, et Schmidt endosse cette nouvelle composante du rôle avec une grande finesse. Enfin Kwangchoul Youn n'est pas sans rappeler Joseph Greindl en roi Marke. Le corps de cette jeune voix de basse, que nous suivons avec intérêt depuis son fantastique Don Fernando dans le Fidelio de Braunschweig au Châtelet, s'affermit de jour en jour et ne devrait pas tarder à décrocher la timbale au siècle prochain.
Thomas Simon
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