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C’est le printemps

Berlin
Salon de musique de chambre de la Philharmonie
02/06/2000 -  
Theodor W. Adorno : Deux pièces pour quatuor à cordes op. 2
Peter Ruzicka : Tombeau, pour flûte et quatuor à cordes, et " ...sich verlierend ", pour quatuor à cordes et récitant
Robert Schumann : Quatuor en Fa Majeur op. 41, 2

Ensemble Quattro Plus, Dietrich Fischer-Dieskau (récitant)

La lecture sur un programme de concert du nom de Theodor Adorno en tant que... compositeur éveille la curiosité du mélomane. Et aussi quelque peu son inquiétude, puisque malgré leur succès universitaire, on est en droit de trouver plutôt indigestes les essais que ce dernier a consacré, entre autres, à Mahler et à l’École de Vienne. Composées sous les auspices d’Alban Berg, auprès duquel Adorno suivait des cours de composition, les deux pièces de jeunesse données en hors d’oeuvre par l’ensemble QuattroPlus surprennent donc par leur lisibilité, leur harmonie. Leur dodécaphonisme très " classique " est diamétralement opposé à l’habituelle loghorrée de son auteur, et rappelle par endroits certains interludes de Wozzeck (surtout le deuxième morceau au titre si bergien de Variationen), aussi la Sérénade op. 24 de Schönberg. Comme ces illustres modèles, il est difficile de ne pas succomber au charme immédiatement viennois de cette musique, pas si éloignée de la valse finalement. Et à la différence de Nietzsche, dont les Lieder et pièces pour piano gagneraient sans doute à rester inconnues, il faut peut-être regretter la carrière de compositeur qu’aurait pu embrasser l’auteur de Quasi una Fantasia et de l’Essai sur Wagner.
Le concert continuait avec deux oeuvres du compositeur maison Peter Ruzicka, par ailleurs véritable homme à tout faire puisque, juriste de formation, il fut l’intendant du Deutsches Symphonie-Orchester dans les années 80, orchestre qu’il dirige par ailleurs régulièrement comme chef invité. Tombeau, qui était donné en création mondiale, a été écrit pour célébrer vingt années d’une collaboration musicale semble-t-il très fructueuse. Ce titre un peu officiel ne désigne pas le compositeur lui-même (heureusement !) mais un ancien flûtiste du DSO décédé en 1994, Karl-Bernhard Sebon, qui fut très célèbre dans la profession pour son ahurissante technique (il découvrit en particulier un nouveau trille particulièrement rapide, et qui porte aujourd’hui le nom de " trille Sebon "). L’oeuvre rend hommage à cette virtuosité : sur un tapis sonore incantatoire, tissé aux cordes dans le style des " inventions à une note " de La Monte Young, le chant du flûtiste se déploie en des arpèges toujours plus rapides et sur un ambitus toujours plus large, tour à tour à la flûte basse, à la flûte alto, à la traversière. L’orage se calme un peu, les vents se taisent, puis repartent de plus belle, mais ils sont brusquement interrompus par un puissant martellement de gong, dont les vibrations graves poursuivent alors habilement celles du quatuor, jusqu’à leur lente extinction. Tout cela s’écoute sans déplaisir, et s’avère même captivant par endroits, même si l’on regrette l’usage un peu excessif des sons soufflés et des stacatti aux touches de la part du soliste, effets qui apportent évidemment leur part de " vérité ", mais ne semblent pas toujours très justifiés musicalement.
La seconde pièce de Ruzicka est en revanche nettement moins réussie. Pourtant l’idée de vouloir décrire le cheminement créatif d’un compositeur, dont les pannes d’inspirations seraient meublées par l’irruption de fragments littéraires, était intéressante, et renversait avec ironie la formule romantique selon laquelle la musique commence là où s’arrêtent les mots. Un choix d’auteurs un peu plus original que dans le tout venant de la musique contemporaine (les inévitables Paul Celan et Cesare Pavese y côtoient Valéry, Hofmannstahl et …Adorno), la présence d’un Dietrich Fischer-Dieskau toujours fidèle à cet orchestre depuis ses débuts il y a plus de cinquante ans et qui à défaut de voix chantée n’a rien perdu de sa diction malicieuse, suffisaient à rendre ce programme encore plus attrayant. Las ! Malgré un beau début, notamment sur l’entrée du récitant et son invocation à la musique, la partition s’installe ensuite dans une pulsation assez routinière et s’essoufle rapidement. Par exemple, chaque intervention du récitant est précédée d’un interminable mouvement perpetuel aux deux violons, presque sur un seul demi-ton, ce qui devient à la longue très irritant. Il s’agissait sans doute de représenter l’absence d’inspiration du créateur, mais de cela, les auditeurs n’ont que faire précisément, pas plus que d’entendre une langue tourner sept fois dans une bouche !
On sait gré cependant aux solistes du QuattroPlus de leur grand professionalisme. Impeccables dans les Adorno, discrets et attentifs dans Tombeau, ils défendent avec brio la musique de " ...sich verlierend " qui, décevante sur le plan de la composition, n’en reste pas moins très exigeante techniquement. Ils seront recompensés par le quatuor de Schumann, partition généreuse et véritable rayon de soleil de cette soirée. Composé aux débuts des années 1840 peu après la symphonie Frühling et la première cargaison de Lieder, ce quatuor est loin d’égaler en intensité les derniers de Beethoven ou même de Schubert, pourtant de quinze années antérieurs. Mais il séduit par sa vivacité et un contrepoint très intrinsèque, qui marque une réelle évolution dans l’écriture de Schumann, lequel souhaitait alors s’émanciper un peu du cadre pianistique et de la tutelle de Clara. L’interprétation en fut vibrante, chaleureuse, et semblait vouloir annoncer le printemps qui cette année, à Berlin, est particulièrement précoce !



Thomas Simon

 

 

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