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Variété Berlin Philharmonie 01/15/2000 - et 16 janvier Jean-Sébastien Bach : Ouverture n°3 BWV 1068
Alexander von Zemlinsky : Lieder sur des poèmes de Maeterlinck op.13
Alban Berg : Trois fragments de Wozzeck op.7
Ludwig van Beethoven : Symphonie n°8 op.93
Iris Vermillion (Mezzo-soprano)
Deutsches Symphonie-Orchester, Sian Edwards (direction)
Souvent surnommé " das andere Orchester ", et moins prestigieux que son aîné le Berliner Philharmoniker, le Deutsches Symphonie-Orchester n’en a pas moins joué un rôle très important dans la vie musicale berlinoise, et ce dès sa fondation après la Deuxième Guerre sous des auspices américaines. Au Philharmonique le " grand répertoire ", au RIAS-Symphonie-Orchester (son premier nom) Bartók, Kodály, l’école de Vienne, les compositeurs de Darmstadt. Les amateurs d’opéra connaissent aussi les excellents enregistrements de Mozart dirigés par Fricsay (patron de l’orchestre de 48 à 64) et qui ont lancé la carrière, entre autres, de Rita Streich, Ernst Haefliger, Dietrich Fischer-Dieskau, Josef Greindl. Actuellement dirigé par Vladimir Askenazy, le DSO poursuit depuis longtemps une politique d’invitation très active, souhaitant faire découvrir des chefs un peu moins connus du public. Ainsi, dimanche dernier, le chef britannique Sian Edwards.
Le concert commençait en petit comité avec la troisième Suite pour orchestre de Bach, page célèbre s’il en est, notamment pour son deuxième mouvement en " Air ", que les deejays d’aujourd’hui samplent à qui mieux mieux sur les pistes de danse. Malgré quelques légères imprécisions aux cuivres, la direction de Sian Edwards séduit d’emblée par ses tempi alertes, sa rythmique précise, les couleurs incisives et brillantes qu’elle obtient du quatuor à cordes. Un peu à la manière d’un Charles Mackerras, elle arrive à produire sur instruments modernes un son baroque tout à fait convaincant, bien différent du son classique par ses teintes vraiment chatoyantes. Ce type d’interprétation fera fuir évidemment les intégristes du La 415 et des cordes en boyaux, mais il n’est pas non plus impossible que cette troisième voie, venant après la longue tradition romantique issue de Mendelssohn et la " révolution " des Baroqueux, soit la plus riche de promesses pour jouer la musique de Bach aujourd’hui. Ces mêmes remarques valent pour la symphonie de Beethoven qui terminait le concert et qui fut donnée sur un rythme très enlevé, sans la moindre épaisseur de timbre et avec un pupitre de vents (assez sollicités) cette fois-ci impeccable. La fougueuse interprétation de Sian Edwards rendait pleinement justice à cette partition qui est peut-être avec l’Ode de Schiller et sur un registre évidemment moins tragique, l’une des plus uniformément joyeuses du compositeur.
Entre temps, la phalange du Deutsches Symphonie-Orchester s’était déployée au grand complet pour nous jouer une musique nettement plus romantique, sans grand rapport d’ailleurs avec l’autre partie du programme. Les Lieder sur des poèmes de Maeterlinck, rarement donnés et dont l’audition était donc fort attendue, s’avèrent quelque peu décevants à la première écoute, et ne renouvellent pas la forte impression du Nain et de la Symphonie lyrique donnés à Paris l’année dernière. L’ensemble baigne dans une atmosphère mahlérienne assez plaisante (le sixième Lied contient d’ailleurs des allusions presque explicites au premier mouvement de la symphonie Titan) mais aussi, hormis les premiers et derniers morceaux de facture plus ambitieuse, assez ronronnante, et Zemlinsky est bien loin de posséder l’inventivité mélodique de son aîné.
Ni, surtout, les audaces d’écriture de ses descendants. Car la différence est flagrante avec les pièces de Berg qui suivirent, et qui sont l’œuvre d’un compositeur autrement novateur. Ces trois fragments de Wozzeck op.7, édités séparément, constituaient une sorte de bande annonce que Berg avait confiée à Hermann Scherchen pour faire connaître son opéra sans trop de frais. Les fameuses scènes du tambour-major et de la lecture de la Bible sont chantées avec beaucoup de réalisme par Iris Vermillion, un peu moins à son aise que dans les Lieder cependant, dans lesquels elle avait trouvé un sfumato fauréen tout à fait adéquat. À l’orchestre, Sian Edwards montre déjà dans les courts interludes associés à ces deux scènes sa très grande maîtrise de cette musique, dont elle sait nous faire partager tout le mystère. Mais le meilleur restait à venir avec un magnifique Épilogue Orchestral : dosant à merveille les différents pupitres lors des préliminaires, elle construit ensuite avec patience et précision une trame dramatique tout à fait passionnante (aidée en cela par un excellent premier violon) pour laquelle nous sommes toute ouïe, et décroche vraiment la timbale dans le fameux tutti fortissimo, rendu avec juste ce qu’il faut de crudité et de " vérisme " musical. Dans ce morceau de bravoure de l’école de Vienne, Sian Edwards laisse autant libre cours à sa sensualité qu’à son intelligence, et là encore ceci nous semble un juste retour des choses après la " tradition " un peu trop cérébrale laissée par Boulez dans l’interprétation de cette musique.
Au total un excellent concert, de contenu certes un peu hétérogène, mais qui nous aura permis de découvrir toute la variété des talents du chef Sian Edwards.
Thomas Simon
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