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Apothéose brucknérienne

Berlin
Philharmonie
12/12/2024 -  et 13*, 14 décembre 2024
Anton Bruckner : Symphonie n° 8 en ut mineur, WAB 108 (édition Haas, 1890)
Berliner Philharmoniker, Andris Nelsons (direction)


A. Nelsons (© Lena Laine)


L’année 2024 touche doucement à sa fin et, avec elle, le cycle complet des Symphonies d’Anton Bruckner donné par l’Orchestre philharmonique de Berlin à l’occasion du bicentenaire de la naissance du compositeur autrichien. Avant que Herbert Blomstedt ne conclue cette intégrale la semaine prochaine avec la Neuvième, c’était tout d’abord au tour d’Andris Nelsons de diriger ce monument qu’est la Huitième. On sait que, commencée en 1887 et adressée au chef Hermann Levi, qui la rejeta faute d’avoir pu la comprendre (et ce alors même qu’il était un fervent soutien du compositeur !), elle fut retravaillée par Bruckner pour être finalement achevée en mars 1890 avant d’être créée triomphalement le 18 décembre 1892 par le Philharmonique de Vienne, sous la direction de Hans Richter.


Auteur d’une récente intégrale au disque des Symphonies de Bruckner à la tête de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig (voir notamment ici, ici et ici), qui fut assez moyennement accueillie par la critique, Andris Nelsons nous aura au contraire, ce vendredi soir, totalement enthousiasmé avec une Huitième de haut vol. Ayant récemment connu des problèmes de santé – il a dû interrompre un concert à la tête du Symphonique de Boston fin novembre après avoir seulement dirigé une Ouverture de Mozart, son assistant ayant dû le remplacer in extremis, concert qui était consécutif, il est vrai, à une harassante tournée de trois semaines qu’il avait conduite en Asie à la tête du Philharmonique de Vienne, en attendant de nouveaux concerts programmés tant à Leipzig qu’à Boston jusqu’à la fin de l’année –, le chef letton apparaît singulièrement amaigri lorsqu’il entre sur la scène de la Philharmonie, bien loin du physique à la Karl Ridderbusch qu’on lui connaissait depuis quelques années maintenant.


Pour autant, il n’aura donné aucun signe de fatigue durant ces quatre‑vingts minutes de musique, n’ayant d’ailleurs jamais utilisé le haut tabouret qui avait été préventivement installé sur son estrade. Dès le premier mouvement, Allegro moderato, on est pris par un orchestre chauffé à blanc. Même si les violons connurent deux ou trois flottements dans la mise en place, le Konzertmeister du soir, Krzysztof Polonek, ayant été bien plus qu’épaulé dans sa tâche par son voisin Bastian Schäfer (qui se tournait fréquemment vers le reste du pupitre des premiers violons pour donner des impulsions ou s’assurer, avec son enthousiasme habituel, que tout le monde suivait, y compris chez ses voisins seconds violons, parfois par un simple sourire approbateur), le Philharmonique de Berlin se montra impérial : ampleur des cordes, brillance majestueuse des cuivres, finesse des bois (la clarinette de Wenzel Fuchs, lorsqu’elle vient mourir à la fin du mouvement), on ne sait que louer. Peut‑être le tutti conclusif, justement avant que n’entre la clarinette, dont la puissance et le côté implacable ne purent que donner des frissons à chaque spectateur.


Andris Nelsons conduisit l’ensemble avec une maîtrise évidente avant d’aborder le Scherzo de façon extrêmement volontaire mais en étant peut‑être un brin hors sujet. En effet, le chef, toujours souriant, engageé ce deuxième mouvement avec une certaine légèreté, à rebours de l’interprétation habituelle qui privilégie la noirceur, une certaine vision conquérante et cette « rude force tellurique » inhérente à cette partition, pour reprendre la très juste expression de Paul‑Gilbert Langevin (Bruckner, L’Age d’homme, 1977, p. 182). Le tempo choisi fut plutôt rapide et, malheureusement, n’offrit donc pas autant de contraste qu’on aurait pu le souhaiter avec le Trio central. Toutefois, il était difficile de ne pas céder, et ce grâce, avant tout, au véritable héros de la soirée en la personne du jeune timbalier Vincent Vogel, superlatif, impérial à chacun de ses interventions, ovationné comme rarement par le public au moment des saluts : avait‑t‑on jamais entendu, dans une Huitième Symphonie de Bruckner donnée en concert plus beau martellement de ses timbales dans le Scherzo ?


Andris Nelsons nous livra ensuite un Adagio d’une intensité bouleversante. Les divers pupitres de cordes des Berliner furent irréprochables dans cette page à la beauté suffocante ; les violoncelles et les altos nous offrirent des moments inoubliables grâce à un legato d’une grande puissance et d’une transparence que venaient notamment rehausser les interventions millimétrées des trois harpes. Le Finale, dans lequel Vincent Vogel jouait comme si sa vie en dépendait, fit figure de véritable rouleau compresseur, sans que Nelsons n’oublie pour autant les détails d’une partition où brillèrent de nouveau les bois et les cors (subdivisés en quatre cors et quatre cors jouant également les Wagner‑Tuben), emmenés par Yun Zeng, nouveau cor solo aux côtés de Stefan Dohr, entré dans l’orchestre seulement depuis le 1er septembre dernier.


La fin de la coda du dernier mouvement fut saluée par un public enthousiaste, Andris Nelsons recevant des lauriers personnels amplement mérités en revenant seul sur scène, levant les bras comme s’il venait de remporter une véritable victoire sur une œuvre que plusieurs de ses confrères ont pu rater (voir par exemple ici). Assurément un grand concert dirigé par un authentique brucknérien !


Le site d’Andris Nelsons



Sébastien Gauthier

 

 

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