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Ecoutez-vous les uns les autres

Berlin
Philharmonie
11/06/2024 -  et 7*, 8 (Berlin), 17 (New York) novembre 2024
Serge Rachmaninov : L’Ile des morts, op 29
Erich Wolfgang Korngold : Concerto pour violon, opus 35
Antonín Dvorák : Symphonie n° 7, opus 70, B. 141

Vilde Frang (violon)
Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction)


V. Frang (© Stephan Rabold)


Herbert von Karajan a souvent expliqué à quel point il était important que les musiciens s’écoutent les uns les autres. Il avait également ajouté que c’était un facteur qui avait contribué à placer l’orchestre au centre de la Philharmonie de Berlin lorsque cette ci avait été construite dans les années 1960.


Après cette soirée où l’orchestre a joué des œuvres très différentes avec un tel soin apporté aux équilibres et à une certaine transparence, on peut sans nul doute se dire que même si Claudio Abbado, Simon Rattle et aujourd’hui Kirill Petrenko ont des styles différents de ceux de Karajan, certaines des options qu’il a apportées à son orchestre se sont transmises et perdurent encore aujourd’hui.


Les couleurs que trouve Petrenko pour débuter L’Ile des morts de Rachmaninov sont sombres mais sans exagération ni affect. L’orchestre trouve un lent et magnifique crescendo au cours duquel la contribution des différents pupitres est d’une grande clarté. Lorsqu’au sommet de cette ligne, les premiers violons entrent, les autres instruments ne sont pas couverts et le son s’enrichit, contribuant à l’expression de l’œuvre. Voici un Rachmaninov expressif sans flamboyance excessive.


Lorsqu’il était le directeur musical de l’Opéra d’Etat de Bavière, une des marques de Kirill Petrenko a toujours été de savoir comment soutenir ses chanteurs et ne pas les couvrir. Il fait de même avec Vilde Frang dans le Concerto de Korngold. La violoniste norvégienne a beaucoup de musicalité, mais le son qu’elle tire de son instrument est assez intime, à l’opposé de ce que faisaient David Oïstrakh ou ce que ferait de nos jours Anne‑Sophie Mutter. L’orchestre adapte le volume qu’il produit, à nouveau sans que soient sacrifiés couleurs ou attention aux détails.


On oublie ainsi que Korngold, dans ce concerto, tout comme dans sa Symphonie ou dans La Ville morte, orchestre avec une richesse bien viennoise, et on peut apprécier la subtilité de la contribution de l’orchestration, en particulier aux bois. Il est frappant de voir, à la fin du deuxième mouvement, comme Petrenko a les yeux rivés sur la main gauche de sa soliste, permettant ainsi une mise en place d’une impeccable limpidité. Dans de telles conditions, voici un Korngold expressif, musical et, tout comme le précédent Rachmaninov, éloigné de certains canons hollywoodiens.


Très applaudie par le public et (réellement) par les musiciens, Vilde Frang donne en bis Giga senza basso d’Antonio Maria Montanari (1676‑1737), plein de joie et de couleur. L’attention avec laquelle les musiciens sur scène l’écoutent et la regardent en dit long.


La Septième Symphonie de Dvorák est d’une atmosphère bien différente des deux œuvres précédentes. Il n’y a ni morbidité ni parfums fin de siècle, mais un élan plein de vie et d’affirmation. A tous les moments, Petrenko et ses musiciens nous donnent une lecture pleine d’énergie avec une attention à une quantité de détails qui nous confirment à quel point Dvorák savait magnifiquement orchestrer : les contributions des contrebasses et des cuivres dans l’accompagnement des premières pages, les contrepoints des bois dans les développements des mouvements. Les solistes sont superlatifs, et nulle surprise que Petrenko distingue Emmanuel Pahud à la flûte, Yun Zeng au cor et Matic Kuder à la clarinette lors des applaudissements.


En début de concert, l’intendante de l’Orchestre philharmonique de Berlin, Andrea Zietzschmann, accompagnée de Maria‑Eva Tomasi, membre du Stiftungsvorstand (conseil d’administration de la fondation) du Philharmonique, avaient pris la parole pour célébrer le soixante‑quinzième anniversaire de l’Association des amis de l’orchestre, créée lorsque Karajan était son directeur musical. Les styles musicaux ont évolué depuis, et certaines options que l’on associe à Karajan, comme ce legato un peu systématique et une tendance à privilégier les cordes, peuvent paraître un peu surannées. Mais la transparence et cet esprit de groupe qu’il a créés et développés sont bien présents et au plus haut niveau.



Antoine Lévy-Leboyer

 

 

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