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Pour Widmann avant tout

Berlin
Philharmonie
05/30/2024 -  et 31* mai, 1er juin 2024
Jörg Widmann : Concerto pour cor (création)
Anton Bruckner : Symphonie n° 6 en la majeur

Stefan Dohr (cor)
Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)


(© Lena Laine)


Comme nous l’avions écrit dans ces mêmes colonnes en présentant la saison 2023‑2024 de l’Orchestre philharmonique de Berlin (voir ici), Jörg Widmann (né en 1973) fut donc le compositeur en résidence de l’orchestre pour cette saison. Et quel meilleur hommage à la prestigieuse phalange que de lui dédier une œuvre ? En l’occurrence, un Concerto pour cor, fruit d’une commande des Berliner Philharmoniker mais également de l’Orchestre symphonique métropolitain de Tokyo, de l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise, de l’Orchestre symphonique de Stavanger, de l’Orchestre philharmonique de Bruxelles et de l’Orchestre symphonique de Lucerne. Le concert de ce soir (le deuxième, comme habituellement, des trois donnés les jeudi, vendredi et samedi) était donc la deuxième occasion d’entendre la création mondiale de cette œuvre dont l’interprète central n’était autre que Stefan Dohr, inamovible cor solo de l’Orchestre philharmonique de Berlin depuis septembre 1993.


Il fallait bien un soliste de cette trempe pour interpréter un concerto requérant du cor absolument tout ce que peut faire cet instrument : des nuances allant du pianissimo imperceptible au double forte le plus éclatant, un jeu de sourdines, de doubles notes, de sonorités explorant les tréfonds du registre grave de l’instrument... Si Widmann (clarinettiste de formation, ô combien talentueux) a déjà composé pour le cor (son Air, datant de 2005, était déjà une belle expérimentation), le fait de proposer un concerto change à l’évidence de dimension, l’œuvre requérant un orchestre symphonique au grand complet avec un pupitre de percussions particulièrement étoffé.


Sir Simon Rattle entre seul en scène, les premières notes du concerto, immédiatement dévolues au soliste, venant des coulisses, Stefan Dohr s’avançant ensuite progressivement sur scène après que deux cors, plusieurs percussions et le pupitre de contrebasses lui ont répondu. Le concerto, divisé en sept mouvements et d’une durée totale de quarante minutes environ, alterne passages mélodieux (l’Adagietto, où la douceur du cor fait écho aux motifs des cordes, du célesta et de la harpe), passages loufoques (qui commencent comme du Stravinsky, on pense à L’Histoire du soldat ou à certains traits grinçants de Petrouchka, pour finir en musique de film technicolor), passages définitivement cocasses (où Widmann se plaît à citer l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini, la Marche de Radetzky de Johann Strauss père, le Cancan de La Vie parisienne d’Offenbach ou le Concertino pour cor de Weber dans le deuxième mouvement Andantino grazioso...) ou moments totalement hors sol pourrait‑on dire, dans lesquels interviennent divers appeaux pour oiseaux ainsi que tapotement des embouchures ou des pavillons par les uns ou les autres, tout cela au milieu de percussions dont la diversité et la dextérité ne peuvent que susciter l’admiration.


La direction millimétrée de Sir Simon Rattle laisse une totale liberté à Stefan Dohr pour jouer sur tous les plans, offrant au spectateur une performance tout autant musicale (où le cor se mue parfois en cor de chasse, le soliste dialoguant qui avec les quatre cors de l’orchestre, qui l’ensemble des musiciens, qui tel ou tel soliste...) que physique. Ovation du public, redoublée lorsque le compositeur vint saluer aux côtés du chef et de Dohr, qui a depuis longtemps gagné ses galons d’un des meilleurs cornistes au monde !


Après l’entracte, place au connu avec cette Sixième Symphonie (1879‑1881) de Bruckner que le Philharmonique de Berlin a donné à plusieurs reprises ces dernières années, que ce soit sous la baguette de Herbert Blomstedt en juin 2010, Riccardo Chailly en janvier 2013, Mariss Jansons en janvier 2018, Marek Janowski en février 2019 ou, en dernier lieu, John Storgårds en juin 2022. Sir Simon Rattle ne nous a, à titre personnel, jamais convaincu dans la musique de Bruckner dont il se plaît à prendre le contrepied des interprétations plus « classiques » (d’aucuns diront plus sages) que pouvaient signer hier Karajan ou Jochum, aujourd’hui Thielemann ou Blomstedt. On se souvient par exemple, il y a quelques années, d’une Huitième Symphonie fort décevante ; le fait est que, ce soir, cette Sixième ne nous aura pas davantage convaincu. La responsabilité principale incombe bien évidemment au chef.


Dès l’entrée de l’orchestre dans le premier mouvement (Majestoso), Rattle adopte une battue imprécise, les cordes n’étant pas en place, la pulsation s’avérant erratique et l’ensemble étant par ailleurs pris à une allure beaucoup trop rapide ; ça commençait fort mal ! Heureusement que le premier grand tutti a permis à tout le monde de repartir d’un bon pied... La suite du mouvement fut quelque peu à l’avenant, le chef semblant surtout obnubilé par l’éclairage qu’il souhaite donner à tel ou tel pupitre (les altos, ostensiblement sollicités) au détriment des grandes lignes, les musiciens ne semblant pas toujours concernés par ce mouvement dont, reconnaissons‑le, la coda conclusive fut tout de même extrêmement prenante. L’Adagio fut sans conteste le mouvement le plus réussi : les cordes berlinoises firent merveille (en particulier les pupitres d’altos et de violoncelles) dans cette « confession, traitée avec une élévation de pensée dont Bruckner ne se départit jamais et que nous retrouvons ici dans toute son essence » (Paul‑Gilbert Langevin, Bruckner, L’Age d’homme, 1977, p. 163). Admirable notamment fut le passage digne d’un « orage intérieur » (ibid.) qui formalise le troisième motif du mouvement : on retrouvait enfin l’inspiration de Sir Simon Rattle ! Las, le troisième mouvement fut de nouveau extrêmement décevant. Pour le coup pris trop lentement, il nous est bien souvent apparu poussif, manquant à la fois de nerf et de précision, le Konzertmeister du soir, Krzysztof Polonek, n’innervant pas le pupitre de premiers violons de la formidable énergie qu’on serait en droit d’attendre dans ce mouvement. Il faut donc patienter quelque peu pour que le Finale nous permette de retrouver un orchestre plein d’allant (excellent Vincent Vogel aux timbales), même si l’on a connu interprétations encore plus électrisantes comme avait par exemple su le faire Riccardo Chailly avec le Philharmonique de Vienne en 2014.


Trois rappels, des applaudissements polis : bref, un concert de moyenne facture pour l’orchestre maison, l’alchimie entre la prestigieuse phalange et son ancien directeur musical n’ayant pas été au rendez‑vous ce soir, à l’évidence.



Sébastien Gauthier

 

 

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