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Une Elektra qui martonne !

Berlin
Deutsche Oper
04/24/2002 -  
R. Strauss : Elektra

Eva Marton (Elektra), Jane Henschel (Clytemnèstre), Tina Kiberg (Chrysothemis), Hartmut Welker (Oreste), Ralf Willershäuser (Egisthe).

Ernst Schröder/Knut Sommer (mise en scène), Rudolf Heinrich (décors), Konrad Hartmann (costumes).

Orchestre et choeur de la Deutsche Oper Berlin, Marc Albrecht (direction).

On sait combien il est difficile de monter Elektra de manière satisfaisante, non seulement pour le rôle titre, un des plus meurtriers du répertoire de soprano dramatique avec Turandot et Elvire dans Ernani, mais aussi pour l'orchestre, en permanence sur des charbons ardents et dont Strauss exige une puissance et une expressivité très éprouvante pour les musiciens. Portée par une fosse survoltée et par une chanteuse visionnaire, la reprise de belle production créée il y a presque dix ans aura entièrement comblé nos attentes, confirmant la place de la Deutsche Oper parmi les plus grandes maisons straussiennes d'aujourd'hui.

La mise en scène d'Ernst Schröder rappelle que cette tragédie familiale a aussi une dimension politique, que la soif de vengeance d'Électre résonne avec la révolte sourde de tout un peuple contre un pouvoir tyrannique et usurpé. Ainsi, l'entrée de Clytemnestre et de son cortège sacrificiel évoque celle de Pizzare et des prisonniers politiques ou encore, de façon inattendue mais finalement pertinente, celle d'Alberich et de son armée de Nibelungen dans la scène III de L'Or du Rhin. De même, le petit joug sur lequel s'appuie puis s'effondre lentement la reine, au cours de l'extraordinaire scène du rêve, sera vite démonté après son exécution, symbole d'une liberté retrouvée pour le peuple de Mycènes.

Schröder ménage aussi les moments plus intimes (si l'on peut dire) de cet opéra, en particulier grâce à deux larges portes battantes qui séparent la place du palais au second plan du tombeau d'Agamemnon à l'avant-scène. Avant-scène auquel, portes fermées, Électre lance son grand monologue initial et retrouve Oreste dans deux scènes également mémorables. Ces deux portes agissent comme deux grandes valves respiratoires reposant quelque peu le spectateur du monolithisme de l'action et de la fureur de la musique, et cette idée simple mais très efficace contribue beaucoup à la réussite de cette mise en scène.

L'Orchestre de la Deutsche Oper brille de mille feux dans cette partition aussi difficile qu'exaltante à jouer il est vrai. Attaques millimétrées, phrasés alternant l'onctueux (pour Clytemnestre), l'élégiaque (pour les retrouvailles avec Oreste), et bien sûr l'épileptique (pour Électre), les musiciens rendent pleinement justice à cette partition plus variée qu'on ne pourrait le penser. Les moments les plus réussis sont sans doute ces courts passages de transition où la musique de Strauss évoque parfois le descriptisme dramatique de Bernard Hermann. En tout cas, l'expressivité et les couleurs de cet orchestre devraient lui permettre de franchir sans encombres le cap périlleux du Saint-François d'Assise prévu en juin, que nous attendons avec impatience.

La distribution vocale est excellente, à commencer par une Eva Marton vraiment sensationnelle. À près de soixante ans, la soprano hongroise continue d'habiter ce rôle de sa vie avec le même feu sacré qu'à ses débuts, et le connaît maintenant suffisamment pour en traduire les nuances les plus subtiles d'affection sororale ou encore de fourberie (le piège tendu à Égisthe). La voix est impériale, limpide et surpuissante, ce qui est assez incroyable quand on songe à la longue carrière qu'elle a déjà menée. Clytemnestre tout aussi extraordinaire de Jane Henschel, qui assaisonne de surcroît d'une dose intéressante d'humour et de roublardise ce rôle dont rêvent toutes les grandes mezzos. Hartmut Welker campe Oreste avec tout la dignité et la détermination requises, et Ralf Willershäuser montre dans Égisthe un organe bien séduisant, que l'on serait curieux d'entendre dans des parties plus corsées. Seule Chrysothémis, au demeurant fort agréable à regarder, reste en deça de cette brillante distribution, avec une voix sans doute mieux faite que pour inaugurer les chrysanthèmes, mais de format beaucoup trop petit.


Thomas Simon

 

 

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