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Hors des sentiers battus

Berlin
Philharmonie
12/05/2019 -  et 6, 7 * décembre 2019
Richard Strauss: Sonatine pour seize instruments à vent n° 1 en fa majeur «Aus der Werkstatt eines Invaliden», WoO 135 – Trois Hymnes de Friedrich Hölderlin, opus 71 – Der Rosenakavalier, opus 59: Suite
Anja Kampe (soprano)
Berliner Philharmoniker, Christian Thielemann (direction)


C. Thielemann (© Sébastien Gauthier)


Nul besoin d’être Hercule Poirot ou Sherlock Holmes pour comprendre qu’il y a quelque chose d’inhabituel en ce début de concert... Alors que la Sonatine était censée ouvrir le programme, les contrebassistes affûtent leurs instruments pendant que les spectateurs s’installent et d’ailleurs, c’est l’orchestre au grand complet qui entre sur scène, le Konzertmeister du jour (Daishin Kashimoto) au milieu de ses collègues et non en solo comme d’habitude. Et le fait est qu’un délégué de l’orchestre, suivant l’arrivée de Christian Thielemann, prit la parole pour rappeler au public que Mariss Jansons, très lié à l’orchestre, nous avait quittés une semaine plus tôt. En hommage à la mémoire de son collègue, Thielemann commença donc ce concert, dédié au grand chef letton, par le «Prélude» du premier acte de Lohengrin. Si les premiers violons connurent quelques petits problèmes d’ajustement et de cohésion, et si quelques spectateurs troublèrent malheureusement par leurs toux l’atmosphère que l’on souhaitait pleinement recueillie, il n’en demeure pas moins que cette introduction fut particulièrement émouvante, le scintillement de cette page orchestrale n’ayant pas été applaudi à la demande préalable de Thielemann, l’orchestre se levant à la fin avant d’observer une minute de silence et de quitter la scène.


Le temps donc pour l’orchestre de sortir et les seize instrumentistes à vent purent prendre place pour une œuvre qui, chose incroyable, a fait son entrée au répertoire du Philharmonique de Berlin à l’occasion de ces trois concerts! Rappelant dans son format sa Sérénade pour treize instruments à vent composée à Vienne alors qu’il n’avait que 13 ans, la Première Sonatine (1943) a connu une gestation difficile puisque Strauss était alors alité en raison d’une forte grippe, d’où son sous-titre «De l’atelier d’un invalide»). Créée le 18 juin 1944 à Dresde, elle renvoie aux exercices du même genre qu’avaient pu illustrer en leur temps aussi bien Mozart (la Gran Partita) que Beethoven (son Octuor). Les solistes du Philharmonique de Berlin s’amusent visiblement à jouer cette pièce d’une demi-heure sous la gestique parfois encombrante de Christian Thielemann, qui n’en défend pas moins l’œuvre avec conviction. Le hautbois d’Albrecht Meyer inaugure avec délicatesse l’Allegro moderato initial, vite relayé par Stefan Dohr au cor avant que les cinq clarinettes requises ne s’en mêlent à leur tour! Les passages lyriques alternent avec certains aux tonalités plus espiègles qui mettent à rude épreuve l’art du détaché chez tous les musiciens. Si le basson solo de Stefan Schweigert brille dans le deuxième mouvement, c’est sans doute le dernier mouvement (Finale) qui appelle le plus l’attention. Evoquant de temps à autre la Seconde Sérénade de Brahms, il conclut de façon tantôt frivole, tantôt flamboyante (les traits des quatre cors!) une œuvre qui précéda d’un an la Seconde Sonatine «Fröhliche Werkstatt» (achevée en juin 1944 et créée en mars 1946), cette fois-ci spécifiquement dédiée à Mozart: la filiation était on ne peut plus évidente!


La seconde partie du concert vit l’orchestre revenir au grand complet pour une œuvre, là encore, rarissime: les Trois Hymnes de Friedrich Hölderlin. Composés en 1921, ils furent créés la même année par le Philharmonique de Berlin (le 4 novembre très exactement, avec Barbara Kemp en soliste et Gustav Brecher à la baguette) et n’avaient pas été joués par l’orchestre depuis 1924! Il faut dire que l’œuvre peut dérouter, ne sachant toujours bien choisir entre le grand lied avec orchestre et l’opéra. Mais, finalement, c’est bien cette dernière option qui prévaut, le premier lied permettant à Anja Kampe de chanter avec une fougue digne de Salomé, soutenue par une opulence orchestrale magnifiée par le geste attentionné de Christian Thielemann qui s’avère sans conteste un très grand chef d’opéra. Même ambiance opératique dans le deuxième lied, où cordes, glockenspiel et harpe distillent des notes perlées qui contrastent avec la voix puissante et évocatrice de la chanteuse, dont le médium charnu et les aigus d’une pureté à se damner se déploient sans difficulté dans la grande salle de la Philharmonie. Quant au dernier lied, Thielemann impose d’emblée une tonalité plus sombre, que reflètent parfaitement de magnifiques pupitres de cordes (les violoncelles notamment), Anja Kampe théâtralisant avec beaucoup de justesse cette dernière partie, qui lui vaut des saluts enthousiastes tant de la part du public que du chef.


Enfin, voici la suite orchestrale tirée du Chevalier à la rose qui, elle, a connu beaucoup plus de succès, ayant été donnée pour la dernière fois par les Berliner en 2015 sous la direction de Sir Simon Rattle. Si Thielemann, lançant l’orchestre en trombe alors que les applaudissements l’accueillant n’étaient pas encore terminés, a tendance à retrouver sa gestique à la hache, force est de constater que le plaisir est total. Opulent, brillant (la trompette solo de Guillaume Jehl, le hautbois espiègle d’Albrecht Meyer, le violon solo de Daishin Kashimoto...), sachant s’adapter aux moindres contrastes d’une partition qui, si elle n’est pas bien tenue, peut aisément sombrer dans la guimauve et la vulgarité, le Philharmonique nous plonge dans une volupté incroyable. Les passages typiquement viennois (le début du troisième acte de l’opéra) évoquant le lourd Baron Ochs (souvenons-nous de son air «Die schöne Musi!» face à Octavian) succèdent à la finesse orchestrale rappelant le très beau passage du deuxième acte, lorsqu’Octavian présente la rose d’argent à Sophie, lyrisme que l’on retrouve dans la quatrième partie avant que la caisse claire nous emporte pour la dernière partie, explosion sonore qui fait tout bonnement chavirer le public. Ovation méritée pour un orchestre virevoltant et pour Thielemann (rappelé seul sur scène), qui confirme son statut d’être aujourd’hui l’un des plus convaincants défenseurs de la musique de Richard Strauss.



Sébastien Gauthier

 

 

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