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L’émotion d’un public

Berlin
Philharmonie
05/09/2019 -  et 10, 11* mai 2019
Wolfgang Amadeus Mozart: Concerto pour piano et orchestre n° 27 en si bémol majeur, K. 595
Anton Bruckner: Symphonie n° 7 en mi majeur

Paul Lewis (piano)
Berliner Philharmoniker, Bernard Haitink (direction)


B. Haitink (© Sébastien Gauthier)


Il est des concerts où l’on se dit: «peu importe le programme, peu importe même le résultat musical mais il faut que j’y sois» et, une fois fini, une fois sorti de la salle, on se répète à l’envi: «j’y étais »ou «incroyable, j’y aurai été», ne réalisant presque pas sa chance... La représentation de ce soir, la troisième donnée par le Philharmonique de Berlin comme à son habitude après les deux premiers concerts du jeudi et du vendredi, était incontestablement de ceux-là. Car, victime de deux chutes il y a quelques mois et ayant passé depuis quelques semaines le cap des quatre-vingt-dix ans, Bernard Haitink a annoncé qu’il s’accorderait l’année prochaine une année sabbatique, l’ensemble de ces éléments pouvant légitimement nous faire penser que nous ne reverrons pas le grand chef amstellodamois à la tête des Berliner avant un bon bout de temps. Bien entendu, on espère tout simplement l’y revoir: mais comment ne pas se demander si cela n’aura pas été, ce soir, peut-être, la dernière fois?


Philharmonie de Berlin évidemment comble donc pour un programme des plus classiques. Car, qu’il s’agisse de Daniel Barenboim avec la Staatskapelle de Berlin (voir notamment ici, ici,ici,ici,ici et ici), de Herbert Blomstedt ou de Bernard Haitink lui-même, ces deux derniers chefs avec le Philharmonique de Berlin, l’idée d’associer un concerto pour piano de Mozart avec une symphonie de Bruckner est devenu chose assez répandue. Deux Autrichiens, chacun marquant le répertoire à plus d’un titre, la légèreté de la première partie rattrapant la monumentalité attendue de la seconde. Or, de même qu’on s’était ennuyé lorsque Haitink avait dirigé le Vingt-cinquième Concerto avec Till Fellner, de même le Vingt-septième donné ce soir nous aura paru bien longuet. Au clavier, l’Américain Paul Lewis qui faisait là ses débuts comme soliste avec l’orchestre: ne le cachons pas, le premier mouvement aura été mortellement ennuyeux! Si l’on aura pointé des vents excellents (d’ailleurs, ce sont presqu’eux qui ont reçu le plus d’applaudissements lorsque le chef les a fait se lever au moment des saluts), ce premier Allegro se déroule sans encombre, sans anicroche, faute de toute prise de risque, le jeu totalement lisse du soliste trouvant dans le confort orchestral un écrin où il fait visiblement bon se lover. Mais est-ce cela Mozart? Ecrit à onze mois de la disparition du compositeur, ce concerto frappe certes par sa simplicité d’écriture, voire par son dépouillement mais est-ce une raison pour ne pas y instiller de la joie, pour jouer ces appogiatures de façon si mécanique, d’interpréter une cadence avec une telle banalité? Si l’orchestre adopte un jeu très professionnel bien évidemment, on se dit que l’assoupissement nous guette, d’autant que le Larghetto qui suit, trahissant de la part du soliste une main droite parfois un peu dure, ne soulève guère plus d’attention. Heureusement, tout cela s’anime enfin dans l’Allegro conclusif, Haintink faisant ressortir toute la verve de Mozart pour une partitions qui nous rapproche bien davantage des concertos de Beethoven que les précédents concertos du divin enfant de Salzbourg. Lewis s’amuse enfin. Le jeu tend vers l’espièglerie, le mouvement est pris plus vivement tant par le soliste que par le chef, le jeu de pédales reste parcimonieux, les cordes berlinoises s’animent... Ouf! Pour autant, avouons qu’on aura été bien moins convaincu par son Mozart que par son Schubert, Lewis (en digne élève de Brendel) ayant choisi de donner en bis l’Allegretto D. 915 ut mineur écouté par un public berlinois dont l’attention nous frappe toujours: superbe.


Le temps pour les spectateurs de profiter de l’entracte, pour le piano de descendre au deuxième sous-sol de la scène de la Philharmonie (spectacle toujours étrange qui attire au plus près, comme à son habitude, une vingtaine de curieux) et nous voici de retour pour la plus connue sans doute des symphonies de Bruckner, la Septième (1881-1883) dont on sait que le célèbre mouvement lent a été inspiré au compositeur par la mort attendue de Wagner. Le Philharmonique de Berlin fait son entrée au grand complet, huit contrebasses (conduites ce soir par Esko Laine) prenant la place des trois qui étaient là pour Mozart, les quatre cors se voyant flanqués derrière eux de quatre Wagner-Tuben, Bernard Haitink ayant par ailleurs choisi de placer côte à côte les premiers violons (menés par le Konzertmeister Daniel Strabawa) et les seconds conduits par le chef d’attaque Christophe Horák, le chef ayant en outre installé les trompettes à sa gauche, les trombones face à lui, les cors étant sur sa droite. L’interprétation de la Septième Symphonie que nous aura offerte Haitink restera à coup sûr dans les mémoires. Certes, on pourra nous objecter de ne pas être toujours objectif pour le coup en écrivant sur ce chef, qui plus est dans ce répertoire! Mais le ressenti de cette interprétation fut à l’évidence admirable.


Ce sont les cordes qui impressionnent dans le premier mouvement, la tension notamment d’un pupitre de violoncelles au sommet permettant aux altos, excellents eux aussi, de faire une entrée aux accents des plus tragiques. Le trémolo des violons, les interventions du cor solo (tenu pour ce concert par Stefan de Leval Jezierski) ou de la flûte (Mathieu Dufour) sont autant d’éléments qui contribuent également à nous emmener sur des sommets, la coda conclusive ayant empli la Philharmonie avec une solennité et une force incroyables. L’Adagio si attendu a également tenu toutes ses promesses grâce à un Haitink doté d’un implacable sens de la progression. La houle orchestrale monte, descend, puis remonte avant de s’amplifier définitivement et de culminer dans le fameux coup de cymbales accompagné par le triangle: assurément, enivré par le choral des cors et des Wagner-Tuben et par la masse sonore des cordes, on ne ressort pas totalement indemne de ce mouvement. D’autant que, à peine le temps de prendre sa respiration, c’est un Scherzo des plus prenants qui lui succède. Haitink aurait pu le prendre un peu plus vivement (et ce, même si Bruckner a indiqué qu’il fallait aborder ce mouvement pas trop vite, «Nicht schnell»), mais le résultat n’en est pas moins impressionnant: saluons à cette occasion la prestation (toujours aussi belle à voir qu’à entendre) des contrebasses et du Français Guillaume Jehl, une des trompettes solo de l’orchestre! Magnifiquement conduit de nouveau, le dernier mouvement nous aura néanmoins un rien moins convaincu, peut-être en raison de deux légers moments de flottement côté cordes, qui ont bien vite disparu grâce à la battue toujours précise de Haitink, dont une légère amplitude du bras droit suffit à remettre tout le monde d’accord.


Dès les premiers applaudissements, le public de la Philharmonie se leva pour saluer l’orchestre et, surtout, comme on pouvait s’y attendre, Haitink qui, s’appuyant cette fois-ci sur sa canne que lui a discrètement fait passer un violon du premier rang, revint trois fois sur scène puis seul, une dernière fois, recevant les applaudissements chaleureux et émus d’une bonne partie du public resté pour l’ovationner. Difficile donc de ne pas penser à «l’après» à la fin de ce concert. Eu égard au résultat de ce soir, on n’espère évidemment qu’une chose: voir le nom de Bernard Haitink figurer sur le programme de la saison 2020-2021 des Berliner Philharmoniker. Alors, prenez soin de vous, maestro: on compte sur vous!


Le site de Paul Lewis
Le site de l’Orchestre philharmonique de Berlin



Sébastien Gauthier

 

 

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