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Toute musique est nostalgique… (Jankélévitch)

Berlin
Staatsoper Unter den Linden
10/28/2001 -  


F. Schreker : Der ferne Klang



Carola Höhn/Katharina Lang (Grete), Robert Künzli (Fritz), Wolfgang Newerla (Dr. Vigelius/Le baron), Hanno Müller-Brachmann (Le comte/Rudolph), Bernd Zettisch (Le vieux Graumann/Deuxième choriste), Yehudit Silcher (Sa femme/La serveuse), Gerd Wolf (L´aubergiste/Un policier), Klaus Häger (Un acteur), Uta Priew (Une vieille femme), Nora Kaminiczny (Mizi), Tina Schlenker (Mary), Johanna Stojkovic (Milli), Brigitte Eisenfeld (Une espagnole), Stephan Rügamer (Le chevalier/Un individu douteux), Peter Menzel (Premier choriste), Carola Nossek (Première choriste), Borjana Mateewa (Une jeune fille/Deuxième choriste), Bernd Riedel, Peter-Jürgen Schmidt, Andreas Schmidt, Mike Keller et Andreas Neher (Cinq invités).



Peter Mussbach (Mise en scène), Erich Wonder (Décors), Andrea Schmidt-Futterer (Costumes), Franz Peter David (Lumières).



Staatskapelle Berlin, Michael Gielen (Direction). Staatsopernchor, Eberhard Friedrich (Chef de choeur).



Au tableau des valeurs musicales du vingtième siècle, la cote du compositeur viennois Franz Schreker (1878-1934) suit une trajectoire pour le moins erratique, qu´un mouvement brownien pourrait aussi bien modéliser que le cours des options autrichiennes de nos amis boursiers. Après un début de carrière réussi sur le plan académique (chaire de composition au conservatoire de Vienne), mais poussif en termes de reconnaissance artistique, Schreker connaît en 1912 un succès foudroyant (25 rappels) après la création à Francfort sur le Main du ferne Klang, opéra qu´il mijotait depuis près de dix ans et qui lui vaut d´un seul coup des invitations de toutes les scènes lyriques d´Europe et d´Amérique, ainsi qu´une requête expresse de Schönberg pour diriger la création de ses Gurrelieder. Cette fulgurante ascension est tout aussi brusquement freinée par la Première Guerre, au cours de laquelle les maisons d´opéra reviennent à une politique plus conservatrice et ne jouent que les grands classiques. Il compose alors Die Gezeichneten et Der Schatzgräber, qui seront de grands succès dans les années folles. Sa musique, chatoyante, sensuelle, pour ne pas dire torride, s´accorde parfaitement avec l´effervescence régnant alors dans le monde occidental et le mènera partout, en Italie, en France, en Suisse, aux U.S.A. et jusqu´à Berlin où il prend la direction du conservatoire en 1920. Compositeur allemand le plus joué de son vivant, il jouit alors d´une immense influence, fait recruter Hindemith et Arthur Schnabel, prend comme élèves Goldschmidt, Krenek, Jasha Horenstein, entre autres.



Puis survient la crise économique, qui compromet quelque peu ses projets. Son dernier opéra Irrelohe, monté à Cologne en 1924 sous la direction de Klemperer, connaît un échec cuisant. De plus, son renom commence à décliner du fait de l´émergence de nouvelles écoles musicales en Allemagne, représentées essentiellement par Kurt Weill et Alban Berg. On reproche brusquement à Schreker de n´avoir jamais su choisir entre la « musique populaire » et la « musique d´auteur », et cela lui vaut aussi bien le désamour des foules que le mépris des intellectuels, symbolisé par un article cinglant d´Adorno à l´occasion d´une reprise du ferne Klang en 1929, en même temps que triomphe à Berlin L´opéra de quat´ sous. Malade, inquiété puis destitué par les nazis, il meurt d´apoplexie en 1934 et tombe dans un profond oubli. Non seulement son œuvre est condamnée par Goebels pour son caractère « dégénéré » (on lit dans le catalogue de l´exposition de 1938 qu´ « aucune pathologie sexuelle n´[y] est oubliée ») , mais surtout il n´a pas eu la chance, comme Weill et Schönberg, de pouvoir exporter sa musique en s´exilant aux États-Unis. Le dogme sérialo-adornien régnant après la guerre interdit ensuite toute renaissance de son œuvre, et il faut attendre 1978 pour que soit enfin créé à Fribourg en Breisgau son opéra Christophorus, 1990 pour que soit enregistré Der ferne Klang par Gerd Albrecht (avec Gabrielle Schnaut et Thomas Moser), et donc 2001 pour que son œuvre phare soit reprise à Berlin, près de quatre-vingt ans après une production d´Erich Kleiber (avec son épouse Maria Schreker et Richard Tauber), qui avait été l´un de ses derniers succès.



On a dit souvent que Der ferne Klang est l´opéra que Mahler aurait voulu écrire, ou du moins diriger (hélas il est mort un an trop tôt). C´est d´ailleurs au musicien morave que l´on songe tout d´abord en écoutant cette musique, très tonale et néanmoins moderne par un sens du montage et de la spatialisation presque cinématographiques, aussi par son gôut du grotesque. Le livret, sorte de mélange de La Traviata et de La mort à Venise version Visconti (Fritz, un jeune compositeur à la recherche du « son éloigné », quitte sa campagne, et Grete sa compagne, pour chercher fortune dans la grande ville. Il retrouve Grete quelques années plus tard, qui triomphe dans un cabaret demi-mondain de Venise. Il la rejette une nouvelle fois, publiquement. Malade, toujours insatisfait par sa musique, il revoit une dernière fois Grete alors que celle-ci fait définitivement le trottoir. Tandis que résonnent les cloches du « son éloigné », il mesure alors l´étendue du temps perdu, et meurt.) baigne aussi dans cette atmosphère déliquescente, mais rehaussée d´un vif onirisme, qui caractérise bien les grandes symphonies du maître de Kalischt. Certains passages ouvertement « charivaresques » aux bois et aux percussions évoquent aussi Berlioz, mais c´est plutôt du côté de Strauss qu´il faut chercher une autre grande parenté à cet opéra, pour ses quelques timides essais de « conversation en musique » et surtout pour ses grands airs de soprano, très sensuels et irradiés de chromatisme, qui n´ont rien à envier à ceux de la feld-maréchale, voire de la comtesse dans Capriccio.



On doit à Michael Gielen la renaissance à Berlin de cette œuvre foisonnante et passionnante, et qu´il défend d´ailleurs très bien dans la brochure de présentation, ce dont il faut évidemment lui savoir gré. En pratique toutefois, sa direction n´est pas sans poser quelques problèmes à la Staatskapelle Berlin, orchestre habituellement très courtois face aux chanteurs et qui montre ici une fâcheuse tendance à surjouer et à couvrir ces derniers. Plus grave, Gielen semble pousser les bonnes intentions pédagogiques jusqu´à forcer le trait, dans une musique déjà suffisamment explicite et qui, à l´instar de celles de Berlioz et Mahler justement, n´en demande pas tant et risque de tomber dans la trivialité si l´on n´y prend pas garde. Les passages purement orchestraux, très lyriques tels le grand interlude du troisième acte, sont cependant mieux conduits. Sans aller jusqu´à huer sa prestation, ce qui fut le cas ce soir-là d´une partie, assez ingrate, du public (Gielen partant vexé et refusant de saluer), on aurait pu souhaiter dans l´ensemble une interprétation moins massive, plus atténuée, semblable à celle d´Albrecht dans l´enregistrement mentionné ci-dessus (chez Capriccio) et qui nous est souvent revenue dans l´oreille.



Heureusement, la mise en scène de Peter Mussbach rend à cette œuvre une bien meilleure justice. Reposant sur de magnifiques décors, très évocateurs et traduisant remarquablement l´atmosphère de rêverie baignant l´acte vénitien par exemple, le travail de Mussbach paye surtout par une direction d´acteur toute en finesse et très fluide, et aussi par son humour (la grande gondole branlante dans laquelle se pâme le Comte, l´escalier menant Fritz vers la gloire ou vers la mort, la fosse où il apparaît puis disparaît tel Alberich dans L´or du Rhin, peut-être un clin-d´œil malicieux à Adorno qui voyait en Schreker un « Alberich de la musique ») bien en phase avec la force tragi-comique de cet opéra.



Dans un rôle difficile dont il se sort très bien, le tenor Künzli montre une voix pas désagréable et fait son travail avec beaucoup de sérieux, mais devrait songer à varier ses couleurs et son phrasé. Il n´est pas loin de se faire voler la vedette par Rügamer dont le rôle est plus secondaire, mais qui montre beaucoup plus d´abattage. Müller-Brachmann ne cesse de confirmer un grand baryton de plus en plus riche en harmoniques, et ne devrait pas tarder à tutoyer des rôles plus dramatiques, sa distribution en Comte semblant ici presque un luxe. Mais la timbale de la soirée est à décrocher par Carola Höhn, remplaçant au pied levé (avec deux jours de préparation !) une Anne Schwanewilms souffrante, et incarnant Grete avec un souffle et une sensibilité proprement électrisantes, à défaut d´avoir une voix complètement idéale. Les exigences de la production contraignent cependant à la doubler sur scène par une assistante de Mussbach, ce qui pose parfois quelques problèmes de synchronisation, mais dans l´ensemble le résultat est très satisfaisant, cette double incarnation accentuant d´ailleurs heureusement l´onirisme de certains passages. Dans le public, quelques individus poudrés crient cependant au scandale et n´hésitent pas à crier des « Remboursez ! » quelque peu malotrus. Sans doute des inconditionnels de Frank Steffel, évacuant leur déception après la lourde veste subie par ce dernier aux dernières municipales.




Thomas Simon

 

 

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