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Kirill Gerstein: retenez ce nom ! Berlin Philharmonie 04/14/2016 - et 15, 16 avril 2016 Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n° 2 en ut mineur, opus 18
Piotr Ilyitch Tchaïkovsky : Symphonie n° 3 «Polonaise» en ré majeur, opus 29 Kirill Gerstein (piano)
Berliner Philharmoniker, Semyon Bychkov (direction)
K. Gerstein (© Marco Borggreve)
Popularisé aussi bien par Sept ans de réflexion (souvenez-vous de Marilyn s’écriant au début du film «Ahhhh... Rachmaninov...»!) que par Frank Sinatra, le Deuxième Concerto de Rachmaninov fait indéniablement partie des monuments du répertoire pianistique. Ne cessant d’être enregistrée (voir par exemple encore récemment ici et ici), l’œuvre n’avait pas été donnée par le Philharmonique de Berlin depuis la fin de l’année 2009. Formidable occasion donc de l’entendre ce soir pour le premier de la série habituelle des trois concerts hebdomadaires de l’orchestre, sous les doigts du pianiste Kirill Gerstein (né en 1979) qui, s’il développe sa carrière surtout aux Etats-Unis, faisait là ses débuts avec le prestigieux orchestre.
Le résultat fut sans conteste des plus séduisants. Servi par un doigté capable de toutes les subtilités, Gerstein livre une interprétation tout en finesse du concerto là où il serait pourtant si facile de multiplier les effets sirupeux ou inutilement spectaculaires. Dès le début du premier mouvement (Moderato), les accents tragiques de l’œuvre sont parfaitement mis en exergue, tandis que la douce rêverie du deuxième permet au pianiste de montrer qu’il n’est pas seulement un technicien, mais aussi un musicien hors pair – quel art des nuances notamment! Il faut dire que l’entente avec Semyon Bychkov est exemplaire. Le chef, qui a accompagné Gerstein dans ce même concerto au début du mois de février avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, n’en fait pas trop et conduit de façon très inspirée des Berliner Philharmoniker aux sonorités chatoyantes: le legato des cordes est enivrant, les interventions des solistes de l’orchestre idoines notamment dans l’Adagio sostenuto (la flûte de Matieu Dufour, la clarinette d’Andreas Ottensamer, le cor de Stefan Dohr...) et le résultat global extrêmement convaincant. Très chaleureusement applaudi, Kirill Gerstein donna en bis l’Etude pour la main gauche opus 36 de Felix Blumenfeld (1863-1931), nouvelle occasion de faire montre de ses talents: on connaissait le chef, on va rapidement apprendre à connaître ce soliste!
La seconde partie du concert était consacrée à la Troisième symphonie de Tchaïkovski dite «Polonaise», non pas en raison de quelque message politique à l’égard de la Pologne opprimée mais en raison du motif musical – une Polonaise donc... – qui sert de fil conducteur au dernier mouvement. Bychkov, excellent dans la musique russe, déçoit néanmoins quelque peu: non pas que, musicalement, le résultat ne fut pas à la hauteur mais l’ensemble aura généralement manqué de fougue, le chef en restant à une lecture somme toute assez sage de l’œuvre. Pourtant, quel début! Les pizzicati des sept contrebasses (emmenées pour l’occasion par le pétulant Janne Saksala) et les couleurs sombres des cordes font de cet Introduzione e Allegro un moment incroyable de tension et de grandeur qui laisse augurer une suite de la même veine. Avec le développement, dans ce premier mouvement, de l’Allegro brillante, l’orchestre semble pourtant quelque peu bridé par le chef tant dans l’allure que dans les nuances, Bychkov réfrénant en plusieurs occasions les cuivres qui demandaient certes à en faire un peu plus. Mais ensuite, comment résister aux bois berlinois dans la douce mélopée du deuxième mouvement (Stefan Schweigert au basson, Mathieu Dufour de nouveau à la flûte) et également dans le troisième, tout aussi finement ciselé? Bychkov sait là parfaitement doser les équilibres et allie avec finesse les élans des cordes aux interventions millimétrées des vents. Déception en revanche avec le Scherzo (Allegro vivo), certes bien mis en place mais où l’on n’a pas d’élan, où la fluidité des phrases n’est pas poussée à son paroxysme alors que le motif principal devrait passer d’un pupitre à un autre avec une aisance que l’on ne ressent pas ce soir. De même, en dépit de l’accélération finale, le cinquième mouvement (Finale. Allegro con fuoco) pèche par un excès de retenue alors qu’on aurait pu souhaiter que chef et orchestre s’y engagent avec davantage de vélocité et d’ardeur.
Le public salua donc l’ensemble en connaisseur (applaudissant en revanche avec chaleur les solistes que Bychkov fit se lever tour à tour), appréciant le travail bien fait mais sans manifester de véritable enthousiasme. Pour autant, si c’est là le quotidien du mélomane berlinois, qui s’en plaindrait?
Le site de Semyon Bychkov
Le site de Kirill Gerstein
Sébastien Gauthier
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