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Comme dans un rêve

Berlin
Philharmonie
11/27/2014 -  et 28, 29* (Berlin) 30 (Essen) novembre 2014
Felix Mendelssohn : Ruy Blas (Ouverture), opus 95
Robert Schumann : Concerto pour piano, opus 54
Serge Rachmaninov : Symphonie n° 3, opus 44

Martha Argerich (piano)
Berliner Philharmoniker, Riccardo Chailly (direction)


R. Chailly (© Jens Gerber)


Depuis 1968, Martha Argerich est régulièrement invitée par l’Orchestre philharmonique de Berlin. En cette fin 2014, elle avait à nouveau répondu présent pour un programme avec son ami et complice de longue date Riccardo Chailly. Les mélomanes berlinois ayant naturellement répondu présent eux aussi, ces trois concerts étaient complets depuis de longs mois. Un certain Simon Rattle était lui aussi présent dans la salle ce 29 novembre.


L’articulation de ces concerts n’avait rien d’original puisque le concerto joué par Martha Argerich était précédé d’une brève ouverture et suivi d’une symphonie. Plus original était le choix de l’ouverture, puisqu’il s’agissait de celle de Ruy Blas, une rareté de Felix Mendelssohn, certes déjà jouée par l’orchestre en 2006, mais donnée ce soir pour la première fois dans un arrangement du regretté Christopher Hogwood. Comme à son habitude et quoiqu’en disent parfois certains, l’Orchestre philharmonique de Berlin sonne toujours superbement même s’il faut l’intervention ferme et précise de Riccardo Chailly pour rattraper rapidement un léger décalage au tout début de l’œuvre. Il n’empêche, les cuivres qui ouvrent le feu avec brio libèrent toute l’harmonie d’accords qui sonnent pleins et justes, les bois sont légers et d’une musicalité rare, les cordes virevoltent et Chailly parvient en ces quelques minutes de musique à créer un climat à la fois sombre et passionné qui regarde d’ailleurs plus du côté de Beethoven que vers Schumann. Pour un auditeur habitué à des formations orchestrales de moindre qualité, l’impression d’être tout de suite immergé dans un autre monde sonore est un immense plaisir auquel s’ajoute celui de l’acoustique, décidément miraculeuse, de ce lieu. Espérons que celle de la future Philharmonie de Paris sera d’un même niveau.


Mais les choses réellement sérieuses commencent ensuite avec le Concerto de Schumann. Les regards empathiques de Riccardo Chailly vers Martha Argerich, on le sait toujours mal à l’aise avec le cérémonial du concert et notamment du concerto, témoignent avant même que la musique ne commence d’une grande complicité. Et dès le premier accord de l’orchestre de l’Allegro affettuoso initial auquel répond immédiatement le piano, cette complicité éclate aussi au niveau musical. On a beau avoir déjà souvent entendu la pianiste argentine dans cette œuvre, force est de reconnaître que c’est toujours une incroyable expérience. Ce touché reconnaissable entre mille, cette précision sans faille, ce feu qu’elle met derrière chaque note, ces nuances qui transforment certains passages en moments hors du temps, ces fougueux arpèges et accords plaqués comme si sa vie en dépendait, tout ce qui fait que Martha Argerich est unique et d’abord musique était bien au rendez-vous. Il faut dire que Chailly dispense avec précision et élégance un accompagnement – plutôt en fait un véritable entremêlement avec la partie de piano – de toute beauté et que les cordes, les bois et les cuivres rivalisent de musicalité et d’élégance. Les trois mouvements se succèdent sans aucune baisse de tension, dégageant successivement l’énergie fougueuse du premier, la poésie rêveuse de l’Intermezzo central et la pulsation irrégulière ancrée dans la plénitude de l’orchestre de l’Allegro vivace final. L’accueil du public est triomphal et, comme souvent, Martha Argerich offre en bis la première des Scènes d’enfants de Schumann. Et en trois minutes, devant un public immobile et subjugué, tout l’art de la pianiste est sublimé en une évidence naturelle qui est musique.


Le changement d’ambiance est total après l’entracte avec l’installation d’un orchestre au grand complet pour la Troisième Symphonie de Rachmaninov. Cette œuvre composée au milieu des années 1930, et que Rachmaninov a eu du mal à écrire, fut créée à Philadelphie par Leopold Stokowski en 1936. Riccardo Chailly dirige souvent la musique de Rachmaninov – on a ainsi pu l’entendre en octobre 2012 dans la Deuxième Symphonie avec l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig et il a laissé au disque avec Martha Argerich un enregistrement de référence du Troisième Concerto. Il est vrai qu’une musique aussi foisonnante et contrastée est un cadeau pour un chef... pourvu qu’il ait du talent. Et Chailly n’en manque pas. Il réussit même à unifier une musique qui peut parfois paraître disparate. Dès le Lento introductif, rapidement suivi d’un Allegro moderato, le décor multiple de cette musique est tracé grâce notamment à des cordes graves sur lesquelles reposent l’édifice symphonique et des cuivres brillants (hormis un léger accrochage au premier cor) mais jamais débridés. Dans l’Adagio non troppo qui suit, le climat plus nostalgique est également parfaitement rendu et la direction de Chailly cherche aussi à souligner les harmonies serrées et les raffinements de l’orchestration d’une musique bien ancrée, au moins par certains côtés, dans le XXe siècle et qui lorgne parfois du côté du jazz. Quant à l’Allegro final, c’est une véritable fête des sons, des sens et des couleurs toute emportée par la puissante et élégante gestique de Chailly. Tout y est parfaitement maîtrisé dans une réalisation orchestrale de tout premier plan. Et la toute fin, déchaînée, de l’œuvre, notamment l’accord final, tranché comme à la serpe, témoignent des immenses qualités collectives de l’orchestre.


Riccardo Chailly est décidément une des grandes baguettes du moment. S’il n’était déjà très occupé à la Scala de Milan et à Leipzig, il ferait un excellent successeur à Sir Simon Rattle. Signalons qu’avec Martha Argerich, il donnera de nouveau le Concerto de Schumann avec l’Orchestre de Paris les 4 et 5 décembre salle Pleyel. Si Ruy Blas figure également au programme de ces concerts, Chailly a en revanche choisi de diriger la Première Symphonie de Rachmaninov. Malgré ce petit changement, il pourrait être tentant de se risquer à des comparaisons...



Gilles Lesur

 

 

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