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Francis Poulenc : seria et buffa

Toulon
Opéra
01/20/2006 -  et les 22* et 24 janvier 2006
Francis Poulenc : La Voix humaine, Les Mamelles de Tirésias
Renate Arends (Thérèse), Thomas Morris (Le mari), François Le Roux (Le Prologue/Le gendarme), Richard Rittelmann (Presto/Le fils), Jean-Philippe Le Corre (Lacouf/Le journaliste).
Orchestre et choeurs de l’Opéra, Laurent Campellone (Direction musicale)
Olivier Bénézech (Mise en scène), Olivier Millagou (Décors), Patrick Debarbat (Lumières)

En peu de temps, l’Opéra de Toulon, habilement renommé « Provence Méditerranée » renaît et semble désirer jouer dans la cour des grands. Après des travaux de rénovation qui lui donnent à présent une jolie frimousse style station thermale 1900, sa réouverture, il y a juste un an, avait vu une excellente production de Tancredi, avec rien moins qu’Ewa Podles dans le rôle titre. Cette saison, son Directeur innove en montant une quasi-inconnue comédie musicale de Chostakovitch Un coin de paradis à Moscou (quel choc, au pays de Vincent Scotto et Francis Lopez…) et ce doublé Poulenc, trop rarement monté en France.

Avec ce doublé de courts opéras, Poulenc illustre ses deux facettes de compositeur : le sérieux avec la foi ou la douleur, la farce satirique avec son arrière fond canaille de Parisien des années folles. La Voix humaine, oeuvre assez connue pour avoir été chantée par d’illustres cantatrices (Denise Duval, la créatrice du rôle en 1959, Graziella Sciutti, Gwyneth Jones, Elisabeth Söderström, Jessie Norman…), campe sur les terres de la tragédie lyrique. C’est le long monologue d’une femme, sur le point d’être abandonnée par son amant et qui essaye par tous les moyens de l’en dissuader. Monologue vocal certes, mais aussi dialogue musical car à travers cet objet, le téléphone, le seul lien qui lui reste, la Voix de cette femme anonyme dialogue en fait avec l’orchestre. Duo poignant, dont on devine à travers les inflexions, l’intensité émotionnelle, la progression du phrasé dû à Jean Cocteau, l’issue fatale.
Pour cette œuvre, une mise en scène ne s’impose pas vraiment, ce qu’a bien compris Olivier Bénézech. Sa réalisation, dans des décors très dépouillés, ne fait que ressortir l’extraordinaire efficacité de la musique. Cette simplicité met aussi en valeur la brûlante sensualité de l’interprète, Anne-Sophie Schmidt, fort jeune dans le rôle au contraire de nombre de ses devancières. Son medium est un peu pâle et manque de projection, mais la voix est belle et son engagement est tel qu’on ne peut qu’applaudir sa performance.

Après la pluie, le beau temps, celui d’une Riviera imaginaire burlesquement issue d’un autre poète surréaliste, Guillaume Apollinaire. Poulenc ressortit Les Mamelles de Tirésias, piècette de théâtre datée de la première guerre mondiale, au cours de la … deuxième guerre mondiale et il composa ce délicieux opéra bouffe, complètement décalé, de 1939 à 1944 ! Il n’y a pas vraiment d’intrigue, de plus ce qui en tient lieu est si déjanté que la réussite du compositeur n’en est que plus éclatante. Car c’est un petit chef d’œuvre, à la musique constamment renouvelée, jamais insistante, alerte, du Poulenc à bulles, grand millésime. Par contre, dans ce contexte, on ne peut que s’étonner des thèmes abordés par le sujet d’Apollinaire : la démographie et l’égalité des hommes et des femmes. Sa ritournelle insistante :
« faites des enfants, vous qui n’en faisiez guère »,
imprègne l’œuvre, rappel de la saignée dans la population opérée pas la Grande Guerre. Ce à quoi Poulenc semble faire écho en catimini, en 1944 :
« faites des enfants, vous qui faisiez la guerre ». Il semble qu’il ait été entendu, puisque le baby boom était en marche. Plus tard, on entendit Faites l'amour, pas la guerre, mais ceci est une autre histoire. Comme quoi l’opéra surréaliste mène à tout.
Seconde thématique des Mamelles : l’égalité hommes-femmes. Thérèse et son mari invertissent les sexes et les fonctions, Thérèse –qui devient Tirésias- veut briser sa condition de femme d’intérieur procréatrice, travailler, dominer. C’est le mari qui va alors faire des enfants ; il y réussit si bien que la scène est envahie par une impayable progéniture, à laquelle les artistes de ballet de l’Opéra de Toulon apportent cocasserie et une bonne humeur communicative. Mais parmi les futilités échangées on entend : « la femme réclame des droits politiques ». Là-encore Poulenc était dans le vent : en France les femmes ont acquis le droit de vote en 1945 !
Cette farce satirique, dans le prolongement de l’esprit d’un Chabrier, pourrait sombrer dans la vulgarité ou la lourdeur, selon les choix de mise en scène. Une deuxième fois Olivier Bénézech se montre versatile et adroit. Toujours sur le fil du rasoir entre subtilité et kitsch, il nous donne une version rose bonbon arrosée de folie douce. Les costumes sont loufoques à plaisir. Il faut ajouter que la partition de Poulenc, mêlant valses, polkas, déclamations pompeuses, vignettes mélodiques, polyphonie, etc… peut faire fondre de plaisir les plus ardents défenseurs du drame vériste. Signature garantie.
Les interprètes jouent la parodie à fond, Renate Arends, au physique idéal de meneuse de revue, étincelle, Thomas Morris, le mari apporte surtout ses dons de comédien à défaut de voix, et l’excellent François Le Roux, à la diction exemplaire, domine l’aspect lyrique de la distribution.
Au pupitre, Laurent Campellone sait doser le tempo lent et heurté de La Voix humaine, aussi bien que les virevoltantes paillettes de Tirésias. A Toulon, le soleil était sur le parvis du théâtre et dans la salle.




Alain Dornic

 

 

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