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Sérénades tempétueuses et romances venteuses Salon-de-Provence Château de l’Emperi 07/30/2014 - Louise Farrenc : Trio pour piano, clarinette et violoncelle, opus 44 [1]
Edward Elgar : Salut d’Amour, opus 12 [2]
Max Reger : Sérénade pour flûte, violon et alto n° 2, opus 141a [3]
Ernö Dohnányi : Sérénade pour trio à cordes, opus 10 [4]
Jérôme Combier : Divers gris d’un ciel défait (création) [5]
Robert Schumann : Trois Romances, opus 94 [6]
Gustav Mahler : Lieder eines fahrenden Gesellen [7] Jean-Jacques L’Anthoën [7] (ténor), Emmanuel Pahud [3, 5] (flûte), Paul Meyer [1, 5, 6] (clarinette), Alexander Sitkovetsky [2, 3, 4] (violon), Lise Berthaud [3, 4] (alto), François Salque [1, 4] (violoncelle), Frank Braley [2, 6], Adam Laloum [1, 7] (piano)
E. Pahud, A. Sitkovetsky, L. Berthaud (© Nicolas Tavernier)
Public moins nombreux que la veille, mais davantage de vent (quoique heureusement moins frais): ses rafales tourbillonnantes contraignent les musiciens à de longues manipulations de pinces à linge et de ficelles lestées afin d’empêcher les partitions de s’envoler. Et qu’il pleuve ou qu’il vente, il en est un sans qui, depuis 1998, une soirée ne saurait commencer à l’Emperi: c’est Harry Bos, régisseur du plateau et secrétaire général de l’association organisatrice, qui, avec une délicieuse pointe d’accent néerlandais et jamais en panne de mots d’esprit, est toujours attendu pour une courte présentation, nonobstant, cette année, le remplacement de la brochure (payante) pour l’ensemble du festival par des programmes (gratuits) pour chaque concert, confectionnés plus tardivement et ne nécessitant donc pas autant d’actualisations et d’explications quant à l’ordre des œuvres et au nom des interprètes.
Dans une édition dédiée à l’amour, une soirée intitulée «Sérénades et romances» s’imposait, tant les compositeurs ont cultivé, à travers le temps, ces genres ontologiquement associés au sentiment amoureux. Louise Farrenc (1804-1875) a écrit des œuvres de plus grande ambition que son Trio pour piano, clarinette et violoncelle (1856), une formation particulièrement originale en son temps. Mais le choix de ces quatre mouvements de caractère souriant, comme hérités de Weber et Schubert, est pleinement justifié, car si le qualificatif de «sérénade» n’est pas explicitement employé, c’est bien de cela qu’il s’agit ici, d’autant qu’Adam Laloum, Paul Meyer et François Salque font à chaque instant assaut de charme et de finesse. Véritable tube en son pays, le bref Salut d’Amour (1888) d’Elgar – «à Carice», sa fiancée et future épouse Caroline Alice Roberts – est ensuite idéalement servi par Alexander Sitkovetsky et Frank Braley, parfaits de chic un peu suranné.
La Seconde Sérénade pour flûte, violon et alto (1915) de Reger, (lointaine) descendante de celle de Beethoven, va bien au-delà du tour de force d’écriture, de l’exercice de style ou du pastiche, surtout quand elle vit grâce à des musiciens tels qu’Emmanuel Pahud, dansant quasiment devant son pupitre, Alexander Sitkovetsky et Lise Berthaud. Dans un esprit très voisin, mais avec davantage d’enracinement folklorique et des effluves postbrahmsiens dans le «Tema con variazioni», la Sérénade (1904) de Dohnányi bénéficie d’un bel engagement et d’une réelle mise en danger, le vent ayant privé Sitkovetsky de sa partition durant une grande partie de la Romance tandis qu’on ne sait comment le Scherzo, déjà de la haute voltige en temps normal, parvient finalement à bon port avec des feuilles voletant en tout sens.
La seconde partie débute sur la première des trois créations au programme du festival, précédant celles de Philippe Hersant et Christian Rivet: dans Divers gris d’un ciel défait de Jérôme Combier (né en 1971), Pahud et Meyer se jouent des habiles et agiles tuilages sinueux qui alternent avec des phases plus posées et lyriques. Grâce à Meyer, soutenu par son complice Braley, les Trois Romances (1849) de Schumann, originellement destinées au hautbois, n’en sonnent pas moins bien à la clarinette.
Si ces romances n’étaient guère mièvres, que dire des Chants d’un compagnon errant (1884) de Mahler? La version originale, moins connue, met en valeur, sans doute plus encore que l’orchestration, l’héritage schubertien, mais Laloum n’en rend pas moins magnifiquement justice à la partie de piano. Si l’on a davantage l’habitude d’entendre un baryton ou une mezzo dans ces quatre mélodies, le ténor Jean-Jacques L’Anthoën possède les graves requis et c’est à peine si les aigus paraissent parfois un peu tendus: projetant bien sa voix, il s’illustre par une prononciation soignée, un timbre clair et une justesse sans faille, investissant méticuleusement un texte et une musique en complète osmose avec la nuit tombée et la violence des bourrasques.
Simon Corley
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