Back
La métamorphose de la diva Baden-Baden Festspielhaus 06/10/2014 - Airs, Duos, Ouvertures et Intermezzi de Bellini, Verdi, Puccini, Giordano, Leoncavallo et Cilea Anna Netrebko (soprano), James Valenti (ténor)
Philharmonie Baden-Baden, Pavel Baleff (direction)
J. Valenti, A. Netrebko, P. Baleff (© manolo press)
Donné un mardi soir, le concert d’Anna Netrebko n’était affiché nulle part. Organisé grâce à l’entregent diplomatique hors pair de l’intendant Andreas Mölich-Zebhauser, il a été annoncé au tout dernier moment, le site Internet du Festspielhaus et le bouche à oreille s’avérant largement suffisants pour créer une belle ruée sur le bureau de location. Il est vrai qu’Anna Netrebko avait quelques pénibles crises de sueurs froides à se faire pardonner dans la région, et ce concert était d’ailleurs présenté comme tel : un gage de bonne volonté prodigué au public badois, après plusieurs saisons difficiles.
Annoncée l’an dernier dans la Comtesse des Nozze di Figaro puis s’étant aperçue qu’elle serait incapable d’assumer cette prise de rôle, Anna Netrebko avait finalement chanté Donna Anna à la place, entraînant derrière elle toute l’équipe initialement prévue pour Figaro dans une nouvelle production de Don Giovanni. Scénario analogue cette année pour la Marguerite de Faust, mais défection annoncée avec un préavis si court qu’il n’était plus question de changer de cap. Solution de rechange rapidement espérée avec Angela Gheorghiu, au détail près que cette dernière déteste jouer les roues de secours et s’ingénie en général à faire payer ce genre de souplesse au prix fort. Beaucoup de tracasseries suspicieuses à propos de la mise en scène et des costumes, avec pour résultat un désaccord résolu à l’amiable par le départ de la diva roumaine et l’arrivée en ultime recours de Sonia Yoncheva, qui a joliment tenu le rôle de Marguerite dans cette production de Faust du Festival de Pentecôte, en dépit de la fatigue physique inhérente à une grossesse avancée. Avec même un gros malaise au milieu de la seconde représentation, donnée un soir de canicule : accès de faiblesse passager seulement, mais qui a dû mettre une fois de plus les nefs de l’intendant en pelote !
Beaucoup de péripéties récentes, donc, mais finalement un concert serein. Et même en prime la jolie surprise, encore moins attendue celle-là, qu’offre la Philharmonie de la petite ville thermale de Baden-Baden. Délai très court oblige, il a fallu se rabattre sur cette phalange locale pour accompagner la diva : orchestre de chambre d’effectif modestes mais qui fait bonne figure sous la direction continuellement efficace de son chef attitré, Pavel Baleff. Le son des cordes, faute de suffisamment de pupitres, manque d’opulence, mais la petite harmonie est valeureuse, et tout le monde semble animé par un tel souci de bien faire qu’on se laisse convaincre facilement, même dans des Ouvertures et Intermezzi divers (Norma, Luisa Miller, I Masnadieri, I Pagliacci, Manon Lescaut) que l’on s’apprêtait à devoir ingurgiter comme des moments d’attente un peu laborieux. Pour mémoire, la dernière fois que l’Intermezzo de Manon Lescaut a résonné ici, c’était il y a seulement quelques semaines, sous les archets de l’Orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Simon Rattle. Prestige cent fois moindre pour les courageux challengers, mais leur interprétation se tient.
Anna Netrebko a prévu un programme généreux, avec même en avant-première un aperçu de la Lady Macbeth qu’elle va aborder en prise de rôle au Festival de Munich. Un emploi où on l’attend avec un peu scepticisme, mais pour lequel elle dispose de vrais atouts. Assurément Anna Netrebko a conquis une autorité nouvelle, proche de celle d’un vrai lirico-spinto. On apprécie cette plénitude de timbre, ce d’autant plus que techniquement la colonne d’air suit, et même de mieux en mieux (la comparaison de son premier air de Leonora du Trovatore avec celui enregistré l’été dernier lors du concert de la Place Rouge à Moscou, témoigne d’un remarquable gain en stabilité de souffle). Cela dit, malgré des airs de méchante soigneusement construits, l’extrait de Macbeth choisi (le venimeux «La luce langue»), semble encore manquer d’autorité dans l’investissement percutant des mots et des accents. On reste davantage convaincu par la seconde partie du programme, dédiée à Puccini et au vérisme italien, où l’opulence du timbre d’Anna Netrebko s’épanche avec un confort luxueux voire une vibration émotionnelle qui séduisent constamment. Adriana Lecouvreur semble encore un peu trop facilement alanguie, davantage cousette exaltée que grande sociétaire, en revanche la féminité fragile d’«In quelle trine morbide» de Manon Lescaut et surtout l’exaltation tragique de «La mamma morta» d’Andrea Chénier donnent la chair de poule. Une intensité prolongée par un bis renonçant à toute facilité accrocheuse : un air de la Roussalka de Dvorák toute en mélancolie lunaire, davantage russe que bohème à vrai dire, mais rempli d’émotion jusqu’à la moindre note. Chanter la Marguerite de Faust avec un instrument pareil, devenu aussi riche ? Difficilement envisageable, effectivement, ne serait-ce que par perte de flexibilité et de juvénilité du timbre. Mais cela, Anna Netrebko aurait sans doute pu s’en apercevoir dès l’année dernière...
En caractères plus petits sur le programme figure aussi le nom de James Valenti, ténor américain doté d’un physique avantageux (on l’a engagé pour reprendre récemment le rôle de Rudolph Valentino dans l’opéra The Dream of Valentino de Dominik Argento au Minnesota Opera...). Certains se souviennent aussi de l’avoir vu à l’affiche à Salzbourg pour une Traviata de 2005 restée dans les annales (Netrebko, Villazón, Hampson), où il avait permis à Rolando Villazón de se reposer certains soirs. Haute silhouette triangulaire, allure qui serait d’ailleurs plutôt celle d’un footballeur américain (engoncé dans un smoking trop petit !) que d’un ténor d’opéra, et voix aujourd’hui un peu problématique, semblant évoluer vers un baryton à l’aigu encore aisé mais de loin pas toujours juste. En tout cas un bon faire-valoir pour Anna Netrebko, dans le duo du premier acte de l’Otello de Verdi et surtout dans celui de l’acte II de Manon Lescaut. A noter aussi la proximité physique que s’autorisent les deux chanteurs, alors qu’ils se produisent pourtant en concert et non sur scène, avec pendant le duo d’Otello deux «baci» appuyés dont l’intimité risque d’affoler une presse people allemande toujours friande de potins...
Laurent Barthel
|