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L’histoire d’Els

Bruxelles
La Monnaie
06/17/2014 -  et 18, 20, 22, 24, 25, 27*, 29 juin, 1er, 2 juillet 2014
Christoph Willibald Gluck: Orphée et Eurydice (version Berlioz)
Stéphanie d’Oustrac (Orphée), Sabine Devieilhe (Eurydice), Clément Bayet/Michèle Bréant/Fanny Dupont* (Amour)
Membres du Chœur de jeunes de la Monnaie La Choraline, Chœurs de la Monnaie, Martino Faggiani (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Hervé Niquet (direction)
Romeo Castellucci (mise en scène, décors, éclairages, costumes), Vincent Pinckaers (vidéo, caméra)




Un concept hors du commun. Romeo Castellucci a imaginé qu’une personne atteinte du syndrome d’enfermement (locked-in syndrome) représente Eurydice. Une soprano chante le rôle derrière un écran tandis que la mezzo qui incarne Orphée se place devant. Durant la représentation, une caméra filme en direct le trajet vers la chambre de l’hôpital, situé près de Bruxelles, dans lequel séjourne Els, paralysée et incapable de parler à la suite d’un accident vasculaire cérébral survenu il y a un an et demi. Elle écoute au casque, en même temps que les spectateurs, l’interprétation musicale, les sens et la mémoire demeurant intacts. Durant approximativement le premier tiers de la représentation, l’écran diffuse un texte en anglais qui relate l’histoire de cette jeune femme de 28 ans. L’écran laisse place ensuite à un film dont l’image reste floue, sauf lors des plans rapprochés. Autre originalité de cette coproduction de la Monnaie et des Wiener Festwochen, le choix de la version : celle chantée en italien (1762) à Vienne, où se sont tenues en mai les représentations avec d’autres interprètes et une autre patiente, celle de Berlioz (1774/1859) à Bruxelles.


Sur le papier, le projet semble malsain mais cette impression se dissipe lors de la représentation car la caméra filme Els avec tact et respect. Accuser le spectacle d’exhibitionnisme et de voyeurisme n’aurait donc pas de sens, surtout que la jeune femme, sa famille et le personnel médical ont marqué leur accord. Par la force des choses, la scénographie s’avère contemplative et statique puisqu’il n’y a pas de danse et que les chanteurs bougent peu. Le décor, ou plutôt le dispositif scénique, se résume à un écran, une chaise et un moniteur, sauf à la fin, durant laquelle apparaît une forêt où batifole, dans une mare, un autre double dénudé d’Eurydice. Le cœur se serre lorsque la caméra s’attarde, dans la chambre, sur des photographies représentant Els, son compagnon et leurs deux enfants avant le drame. Moins grandiose mais plus interpellant que le Parsifal d’anthologie que Romeo Castellucci a mis en scène il y a trois ans, ce spectacle, qui suscite le débat, abolit la frontière entre la fiction et la réalité.



(© Bernd Uhlig)


Le concept prend néanmoins le dessus sur la musique. A la tête d’un orchestre étriqué et nerveux, Hervé Niquet opte pour des tempi rapides mais le rythme de la musique épouse imparfaitement celui du film. De plus, la sonorité, expansive et râpeuse, ne s’accorde pas toujours naturellement avec les images, douces et discrètes, alors que la trame de l’opéra et le destin d’Els présentent d’évidentes analogies. En revanche, Stéphanie d’Oustrac et Sabine Devieilhe, respectivement Orphée et Eurydice, livrent une prestation juste et sensible. Comédienne de nature exaltée, la mezzo interprète son rôle avec intériorité et profondeur tandis que le timbre de la soprano constitue un véritable enchantement. Les interventions de Fanny Dupont, membre de la Maîtrise de Paris, ne suscitent aucun reproche non plus grâce à une voix pure et un port vocal parfait. Malgré ces réserves, cette production marque les esprits et confirme la place qu’occupe la Monnaie parmi les maisons d’opéra d’exception.



Sébastien Foucart

 

 

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