Back
Une comédie enlevée Nancy Opéra 06/22/2014 - et 24*, 26, 28 juin 2014 Giorgio Battistelli : Il medico dei pazzi (création) Alessandro Luongo (Felice Sciosciammocca), Bruno Taddia (Cicillo), Milena Storti (Madame Amalia), Loriana Castellano (Concetta), Giuseppe Talamo (Michelino), Bruno Praticò (Carlo), Maurizio Pace (Errico), Valeriu Caradja (Raffaele), Clemente Antonio Daliotti (Luigi), Arianna Donadelli (Bettina, Carmela), Mariangela Sicilia (Rosina)
Diane Vaicle, Jérémie Duval, Martin Lallement (figurants acrobates)
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Francesco Lanzillotta (direction musicale)
Carlos Wagner (mise en scène), Tobias Hoheisel (décors), Patrick Dutertre (costumes), Fabrice Kebour (lumières)
(© Opéra national de Lorraine)
L’ultime production de l’Opéra national de Lorraine a subi, comme d’autres théâtres lyriques, les revendications des intermittents grévistes, et la première du vendredi 20 juin a dû être annulée, reportant la création mondiale au dimanche 22. La soirée du mardi 24 à laquelle nous avons assisté a été précédée d’une tribune des protestations, solidairement présentée par la direction de l’opéra. A rebours de nos habitudes, nous soulignerons l’intelligence de cette gestion interne du conflit, favorisant la compréhension plutôt que les préjugés, et à ce titre, la diffusion de l’interview d’Edwy Plenel expliquant les tenants et aboutissants d’une situation de précarité comme le signe d’une évolution du monde du travail dont l’ensemble des acteurs doivent tirer les conséquences dans la réorganisation de la solidarité professionnelle, constitue – nonobstant un réglage de la diffusion sonore perfectible – un excellent exercice de pédagogie à propos d’un régime spécifique qui n’est un privilège que pour ceux qui en abusent – et à cause desquels on sacrifie les plus fragiles sans menacer ceux qui en profitent indûment...
Mais revenons au nouvel opus de Giorgio Battistelli (né en 1953), Le Médecin des fous, inspiré par la pièce homonyme d’Eduardo Scarpetta (1853-1925), comédie enlevée qui narre les tribulations de Cicillo, qui a dilapidé au jeu l’aide financière de son oncle, auquel il fait croire qu’à la sortie de ses études, il dirige une clinique psychiatrique pour laquelle il a besoin de fonds. Mais la visite inopinée de ce mécène familial va mettre sens dessus dessous la pension Stella, où se prélasse le jeune homme, lequel va demander à ses amis et aux autres pensionnaires de révéler leurs excentricités pour faire accroire à leur dérangement psychologique.
Alerte et truffée entre autres de citations d’opéras verdiens, la partition fait la part belle à une savoureuse galerie de portraits. Bruno Taddia campe un Cicillo aussi bien en voix qu’en scène dans le blanc immaculé de son costume de rentier, qui va essayer de duper son oncle Felice, Alessandro Luongo, doué d’un authentique sens du théâtre dans l’expression de la perplexité et de la surprise. Ainsi défile Madame Amalia – Milena Storti en tailleur gris de matrone – qui essaie de placer sa fille Rosina – Mariangela Sicilia. Loriana Castellano réserve à Concetta un mezzo nourri qui contraste avec les pointes et les aigus d’Arianna Donadelli – Bettina et Carmela, avatars de soubrette. Michelino joue le ténor mégalomane croyant que Verdi lui a écrit le rôle d’Alfredo – Giuseppe Talamo se montre irrésistible d’emphase dans les citations pastiches – et postiches – de La Traviata. Maurizio Pace traîne les rêves déchus d’Errico pour une carrière de violoniste tandis que Clemente Antonio Daliotti confère à Luigi son ténor bouffe d’écrivain raté flanqué d’une machine à écrire empêtrée dans des feuilles à rallonge. Aspirant acteur répétant inlassablement Otello aux échos lyriques que l’on sait, Valeriu Caradja offre à Raffaele une présence incontestable et l’une des voix les plus intéressantes de la soirée. Quant à Bruno Practicò, son Carlo a les accents un peu secs du propriétaire agacé par ce remue-ménage auquel il ne comprend goutte.
Dans une scénographie efficace réalisée par Tobias Hoheisel, Carlos Wagner plonge dès l’ouverture de rideau le spectateur dans une Naples folklorique carburant au café et au farniente. Le plateau tourne à l’unisson des situations qui se succèdent à un rythme vaudevillesque et d’une musique dirigée de manière pêchue par Francesco Lanzillotta. Le tourbillon ne manque pas toujours d’excès, mais cette production sympathique assure pour le moins un agréable moment: sans trop vouloir courir après le génie, Battistelli démontre un métier certain que l’on aurait tort de bouder.
Gilles Charlassier
|