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Soirée anniversaire Lille Opéra 06/18/2014 - et 19 juin 2014 Helmut Oehring : Orfeo14 (création) [#]
La Querelle, battle musicale et festive [*], sur des oeuvres de:
Henry Purcell : Fantasia upon one note
Heinz Holliger : Lied pour flûte amplifiée
Giulio Caccini : Dolcissimo sospir
Georg Friedrich Haendel : Il delirio amoroso, “Per te abandonno”
Anton Webern : Drei Stücke opus 11
Antonio Vivaldi : I quatro stagioni: L’Estate, opus 8 n° 2, RV 315 (Presto)
Alexander Schubert : La Place Tiger
Oscar Strasnoy : Pour un flirt avec Rosa Laura Claycomb (soprano), Rodrigo Ferreira (contre-ténor), John Mark Ainsley (ténor), Christina Schoenfeld (comédienne en langue des signes), Matthias Bauer (contrebasse et voix), Tom Pauwels (guitare électrique et voix), Jean-François Sivadier [*] (comédien)
Helmut Oehring et Stefanie Wördemann (conception et mise en espace), Tom Bruwier (lumières), Torsten Ottersberg/Gogh smp (studio électronique musicale) [#]
Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction musicale), Ictus, François Deppe (direction musicale)
Afin de fêter dignement les dix ans de la réouverture de l’Opéra de Lille, Caroline Sonrier a imaginé une soirée réunissant les deux ensembles en résidence, Le Concert d’Astrée et Ictus, offrant de la sorte à la fois une rencontre entre deux univers souvent tenus à distance l’un de l’autre, le baroque et la musique contemporaine, et une preuve de la réussite du projet singulier porté par la directrice de la maison, dépassant le handicap de l’absence de formation permanente pour privilégier une programmation placée sous le signe de la liberté et de la diversité.
C’est ainsi que commande a été passée à Helmut Oehring (né en 1961) d’un Orfeo14, mêlant la fable de Monteverdi à des extraits de la nouvelle de Conrad, Au cœur des ténèbres, soutenue par une création du musicien allemand. Ce dernier n’en est pas à son coup d’essai en termes de mélange des genres, puisqu’il avait déjà donné l’année dernière à la Staatsoper de Berlin AscheMOND, librement inspiré par The Fairy Queen de Purcell, le tout alors mis en scène par Claus Guth. Ici, le concept se résume à un concert scénique aménagé par quelques éléments de mise en espace où au consort baroque côté jardin du plateau répond l’électroacoustique côté cour.
Plutôt qu’une réorchestration en forme de palimpseste sur le texte original du madrigaliste italien, la présente anastomose privilégie la juxtaposition des deux mondes, peu encline à les mélanger réellement. La virtuosité et l’improvisation passent certes du côté moderne avec les étourdissants solos de guitare électrique aux confins de la saturation sonore que Tom Pauwels enrichit de la raucité de sa voix, mais on peine à trouver la contrepartie de l’échange chez les Anciens, lesquels se contentent essentiellement d’une partition résumée et élaguée, sans compter que la mixité des intrigues peut laisser ça et là perplexe si l’on en a oublié certains paramètres.
On n’en apprécie pas moins la muse confiée à Rodrigo Ferreira, quand même bien le contre-ténor doit souvent s’exprimer en mezza voce contraignante – ce qui n’en altère pas l’effet pour autant. Laura Claycomb ne démérite pas non plus, et John Mark Ainsley affirme une présence incontestable. Comme toute production de Helmut Oehring, celle-ci ménage une intervention, ici concise, d’une comédienne en langue des signes – Christina Schoenfeld, hommage du compositeur à ses parents sourds-muets. Avec AscheMOND comme pierre de touche, on comprend au fond qu’une telle conception s’avère solidaire de sa réalisation scénique, et que la forme du concert mis en espace ne lui rend qu’une justice circonstancielle.
En seconde partie de cette soirée anniversaire, Jean-François Sivadier animait une sorte de débat musical entre les deux protagonistes, chacun versant dans un cabotinage complice. Polarisant à l’extrême les différences de style et d’écriture pour mieux les mettre en compétition – Purcell contre Holliger, les plaintes de Caccini et la douce mélancolie haendélienne contre le haïku wébernien – le procédé sacrifie quelque peu à l’artifice, à l’instar de la batterie prolixe d’Alexander Schubert répliquant au déchaînement des éléments de L’Estate de Vivaldi – en cette année Rameau, on aurait pu choisir l’Orage de Platée par exemple. Tout un chacun se réconcilie autour d’un arrangement d’Oscar Strasnoy en forme de clin d’œil, Pour un flirt avec Rosa, avant un Happy Birthday sous une pluie de paillettes dorées où enfin chacun prend sa part.
Gilles Charlassier
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