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Le sacre royal de Purcell

Versailles
Opéra royal
06/14/2014 -  et 15 juin 2014
Henry Purcell : Dido and Aeneas, Z 626
Vivica Genaux (Didon), Henk Neven (Enée), Ana Quintans (Belinda), Ronan Dubois (Magicienne, Marin), Caroline Meng (Première Sorcière), Lucile Richardot (Seconde Sorcière), Nicholas Tamagna (Esprit), Jenny Daviet (Dame d’honneur), Sarasa Matsumoto, Sayaka Kasuya, Ahmed Said, Edwin Condette, Tarzana Foures, Anne-Claire Gonnard, Elodie Chan, Antoine Helou (danseurs et acrobates)
Chœur accentus - Opéra de Rouen Haute-Normandie, David Bates (chef de chœur), Orchestre du Poème Harmonique, Vincent Dumestre (direction musicale)
Cécile Roussat et Julien Lubek (mise en scène, chorégraphie, décors, costumes), Marco Gingold (lumières), Sébastien Thouvenin (assistant scénographique)


V. Genaux (© Frédéric Carnuccini/Agence Albatros)


En deux jours, l’Opéra royal de Versailles accueille Didon et Énée de Henry Purcell (1659-1695) pour quatre représentations après qu’il a été joué à Rouen lors de quatre concerts également, au mois de mai dernier. Il faut dire que cet opéra dure à peine plus d’une heure et passe pour être le chef-d’œuvre de Purcell: autant de raisons pour aller écouter la mise en musique d’un drame célèbre depuis l’Antiquité romaine, où Vivica Genaux effectuait là une prise de rôle attendue par ses admirateurs.


Est-ce justement sa brièveté, sa concision, son urgence dramatique qui confèrent à cet opéra toute sa légende (dont la création remonte, sans que l’on en soit bien certain, au mois de septembre 1690), Purcell réussissant le tour de force de peindre une épopée en une heure de musique où domine «la rapidité avec laquelle les sentiments les plus divers s’expriment dans un éblouissement permanent pour l’auditeur» (Jean-François Labie)? Toujours est-il que l’on ressort des ors de l’Opéra royal – et l’enthousiasme du public lors de cette première représentation versaillaise l’a amplement prouvé – totalement bouleversé par la qualité d’un spectacle exceptionnel en tous points. Inutile de s’attarder sur l’histoire, tirée de L’Enéide de Virgile: chacun connaît les atermoiements sentimentaux de Didon, reine de Carthage, pour Enée qui, trompé par une magicienne cruelle, quittera sa bien aimée pour rejoindre Rome, l’héroïne ne trouvant sa destinée que dans la mort.


Même si Vivica Genaux est une grande habituée du répertoire baroque, tout spécialement italien (voir ici, ici et ici) mais également des œuvres de Hasse ou Händel (voir ici), elle n’avait jusqu’à présent jamais chanté le rôle emblématique de Didon. Tout en n’éprouvant aucune difficulté technique – comment en serait-il autrement pour celle qui jongle avec les notes, notamment chez Vivaldi? –, la soprano alaskienne ne s’avère pas pleinement convaincante. Elle sait, certes, faire preuve de rage ou de désespoir quand cela est nécessaire (notamment à l’acte III, dans l’air «Thus on the fatal Banks of Nile» lorsqu’elle répond vertement à un Enée désemparé des ordres reçus des Dieux) mais son chant ne recèle pas toujours la passion que l’on serait en droit d’attendre. En revanche, ne tergiversons pas: Vivica Genaux est tout simplement sublime dans sa dernière scène, lorsqu’elle meurt en s’adressant à sa fidèle Belinda. Ce dernier personnage est ici incarné par Ana Quintans: on ne pouvait rêver meilleur choix, la jeune chanteuse s’y montrant parfaite. Soutien sans faille de Didon, lien fort entre les deux amoureux tout au long de l’intrigue, Belinda joue un rôle véritablement central dans l’opéra: la soprano portugaise assume vaillamment ce rôle au sein duquel on retiendra notamment le très beau duo (avec la Seconde Sorcière) «Fear no danger to ensue».


Henk Neven est un excellent Enée, en proie à ses tourments, partagé entre son amour pour Didon et l’ordre (faussement) donné par Jupiter: bénéficiant d’une belle voix, profonde et chaude, il distille avec justesse ce sentiment de fragilité qui le rend si touchant, notamment lors de l’altercation avec Didon. Ronan Dubois, remplaçant Marc Mauillon qui avait chanté les deux rôles à Rouen, se révèle quant à lui aussi bien dans son rôle de magicienne prête à tout pour se venger de la reine de Carthage que dans celui du marin qui lance le signal du départ à l’acte III. Dans le rôle des deux sorcières, on donnera une légère préférence à Caroline Meng par rapport à Lucile Richardot, dont la voix s’avère moins séduisante et qui a pu connaître quelques légers retards dans certains duos chantés avec sa partenaire.


Bien que l’on connaisse depuis plusieurs années son travail d’orfèvre, Vincent Dumestre mérite ici tous les éloges. Il fait sonner son Orchestre du Poème Harmonique avec une formidable variété de timbres et une intensité toujours de mise: on est ébloui du début à la fin. Une des particularités de Didon et Enée est de compter plusieurs longs interludes instrumentaux permettant à l’auditeur de profiter de cordes superbes (emmenées avec fougue par Mira Glodeanu), de guitares (que Dumestre lui-même n’hésite pas à empoigner) et viole de gambe douées d’un effet d’entraînement tout à fait enthousiasmant, qui donnent envie de danser, sans compter les interventions chatoyantes des flûte et hautbois. L’acoustique de l’Opéra royal est idoine et permet au spectateur de profiter des moindres détails d’une partition orchestrale dont on ne peut que rappeler l’extraordinaire richesse. On ne peut non plus, bien évidemment, passer sous silence l’excellente prestation des chanteurs du Chœur accentus - Opéra de Rouen Haute-Normandie que, en raison de leur situation géographique (ils étaient placés derrière les musiciens de l’orchestre au sein de la fosse de l’opéra), certains spectateurs prirent initialement pour des intermittents qui allaient fatalement gâcher la fête... Or, loin de gâcher quoi que ce soit, le chœur fut un des artisans de la réussite du spectacle: quelle fraîcheur dans le passage «Cupid only throws the dart» (acte I), quel caractère dans les rires chantés au deuxième acte!


Un opéra en version scénique n’est rien sans une mise en scène de haute tenue qui, répétons-le une nouvelle fois, ne doit avoir pour but que de servir au mieux la musique. Supervisé par Cécile Roussat et Julien Lubek, le spectacle scénique auquel nous avons eu droit a été d’une totale réussite et d’une stupéfiante beauté. Passons rapidement sur les très beaux costumes – notamment ceux de la Magicienne, sorte de pieuvre géante aux tentacules animés et redoutés y compris par ses sbires, et des monstres marins – et sur les décors, sobres tout en étant suffisamment explicites – les rochers où se retrouvent Didon, puis Didon et Enée, la fière coque du navire prêt à quitter Carthage pour Rome – et arrêtons-nous un instant sur la mise en scène proprement dite. On a le souffle coupé face aux véritables exploits des acrobates et danseurs, certains passages (mettant notamment en scène l’Esprit, incarné par Nicholas Tamagna, sur un long et périlleux trapèze) étant emplis d’une véritable magie qui couronne la réussite totale d’un spectacle véritablement enchanteur. Et que dire de la dernière scène, dans une lumière idéalement tamisée, où les pans de la robe de Didon se défont lentement pour se transformer en un clin d’œil en de larges flots qui accueillent le corps de l’infortunée? Moment de grâce et de poésie inoubliable...


En sortant de l’Opéra royal et traversant la place d’Armes du château de Versailles en cette fin d’après-midi, on n’avait qu’une envie: dire aux spectateurs qui arrivaient pour la représentation du soir combien ils allaient être ravis par cet opéra. On leur laissa finalement la surprise et le plaisir de la découverte, n’ayant par ailleurs guère de doute sur le fait qu’ils ne pourraient que partager notre total enthousiasme...


Le site de Vivica Genaux
Le site de Henk Neven
Le site de Caroline Meng
Le site de Nicholas Tamagna
Le site de l’Orchestre du Poème Harmonique
Le site du chœur de chambre accentus



Sébastien Gauthier

 

 

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