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Anna Bolena ou la répudiation éclatante Bordeaux Grand-Théâtre 05/27/2014 - et 30 mai, 3, 5, 8 juin 2014 Gaetano Donizetti : Anna Bolena Matthew Rose (Enrico VIII), Elza van den Heever (Anna Bolena), Keri Alkema (Giovanna Seymour), Patrick Bolleire (Lord Richefort), Bruce Sledge (Riccardo Percy), Sasha Cooke (Smeton), Christophe Berry (Hervey)
Chœurs de l’Opéra national de Bordeaux, Alexander Martin (direction des chœurs), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Leonardo Vordoni (direction musicale)
Marie-Louise Bischofberger (mise en scène), Erich Wonder (scénographie), Kaspar Glarner (costumes, assistant à la scénographie), Bertrand Couderc (lumières)
E. van den Heever, M. Rose, B. Sledge (© Frédéric Desmesure)
Si à l’instar des autres «reines» de Donizetti, Anna Bolena connaît un très significatif regain d’intérêt ces dernières années, la France reste un peu à l’écart de cette mode – et de manière particulièrement ostensible Paris, où l’œuvre n’a pas connu de représentation scénique depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle fait son entrée à l’Opéra de Bordeaux dans une mise en scène très graphique due à Marie-Louise Bischofberger. Entrées et sorties des protagonistes s’effectuent dans les interstices de ce qui ressemble à un point d’interrogation et un forme entre cercle et carrée – métaphore de la quadrature peut-être – au fond desquels se succèdent au fil des tableaux des projections colorées au diapason de cette esthétique un peu bande dessinée où s’égare un trône en bronze plus cabossé que poli. A défaut de prendre position à l’égard d’un livret qui condense pourtant remarquablement le combat entre amour et pouvoir ainsi que la question de la femme dans la société, la production se contente d’illustrer efficacement l’ouvrage – on ne peut que reconnaître le professionnalisme d’Erich Wonder, scénographe dont les réalisations ont plusieurs fois parcouru l’Europe – quitte à subir, çà et là, les aléas de régime de l’intrigue.
Sans doute est-elle moins inspirante que Lucrezia Borgia où l’on rêverait d’entendre Elza van den Heever, programmée déjà en Norma à la fin de la saison prochaine par l’Opéra de Bordeaux. C’est que la soprano sud-africaine domine largement le plateau de cette soirée. Surmontant la vocalité du rôle, elle lui imprime la gravité et la richesse nécessaires à ce personnage riche et complexe, et les graves nourris n’effraient point son registre dramatique. Fidèle aux intentions du compositeur, sa souveraine répudiée et déchue vibre de nuances et d’une vie admirables. Sans démériter nullement, le reste de la distribution lui fait souvent allégeance. Keri Alkema affirme une présence sombre et tourmentée parfois à ses limites dans le bas de sa tessiture. Sasha Cooke dégage en Smeton autant de juvénilité que d’androgynie. Les mâles de l’histoire sont peut-être un peu moins bien servis. Matthew Rose confine généralement Enrico VIII dans une autorité assez monolithique. Avec moins d’éclat sans doute que le Percy bien en style de Bruce Sledge, Patrick Bolleire campe un Lord Rochefort crédible, tandis que Christophe Berry se métamorphose avec conviction en Hervey le héraut. On apprécie le travail des chœurs de la maison, préparés par Alexander Martin. Quant à la battue de Leonardo Vordoni, elle conduit à bon port les musiciens de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine. Si en fin de compte, cette Anna Bolena n’a point à rougir, on espère surtout qu’elle ne sera qu’une étape dans la mise en valeur d’un répertoire belcantiste pour lequel les dimensions du Grand-Théâtre s’offrent comme l’écrin idéal.
Gilles Charlassier
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