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Tchekhov en tournée Nantes Théâtre Graslin 01/19/2014 - et 21, 23, 24, 26 (Nantes), 13, 14, 16 (Angers), 27 (Bouguenais) février, 15* (Saumur), 16 (Haute-Goulaine), 18 (Segré), 22 (Lava), 24 (Pont-Château), 25 (Châteaubriant) avril 2014 Kurt Bikkembergs : La Dernière Fête (création) Ensemble Leporello, Chœur d’Angers Nantes Opéra, Xavier Ribes (direction musicale), Frédéric Jouannais, Julien Dupré (chef de chant)
Dirk Opstaele (mise en scène, conception et livret), Koen Onghena (costumes et accessoires), Anne Van Es (lumières)
(© Jef Rabillon)
Invité régulièrement par l’Angers Nantes Opéra où il a entre autres présenté Galantes Scènes, création mêlant Arlequin poli par l’amour de Marivaux et La Serva Padrona de Pergolèse, Dirk Opstaele a imaginé à partir de cinq pièces de Tchekhov – Oncle Vania, La Mouette, Ivanov, Les Trois Sœurs et La Cerisaie – un spectacle original, traduisant librement en chœurs a cappella la mélancolie du dramaturge russe. Confiée à Kurt Bikkembergs, l’écriture musicale harmonise pour formation chorale des mélodies populaires slaves.
Pour surprenante qu’elle puisse paraître de prime abord, la condensation ainsi opérée restitue, avec une remarquable économie de notes, l’univers de Tchekhov. Dans ces tableaux sonores mobiles, élaborés sur un plateau nu, le commentaire des surtitres, avec l’appoint d’un peu de mime, suffit à rendre lisible les séquences, qui s’enchaînent en nourrissant de l’une à l’autre de secrètes parentés. Un simple claquement régulier de doigts, et l’on est plongés au cœur de la pulsation régulière de l’horloge et de l’ennui; un violent coup de tambour, et le révolver se déclenche, conclusion récurrente d’échecs difficiles à assumer – Konstantin, écrivain raté dans La Mouette ou Ivanov, étranglé par des dettes. Avec un sens subtil de la composition, à la vente du domaine dans Oncle Vania, suggérée sur fond de troubles sentimentaux, répond, à l’autre bout de la soirée, la revanche de Lopakhine dans La Cerisaie. D’abord esquissées, les intrigues s’étoffent jusqu’à des tableaux riches et complexes – tels ceux d’Ivanov ou des Trois Sœurs, où se croisent les fils inextricables de l’intime et le social.
Cette poésie dépouillée se résume souvent, au point de vue vocal, à des mélismes et des murmures, libérant la puissance expressive de la musique des contraintes verbales auxquelles reste généralement soumis le théâtre lyrique. Pour cet opéra sans paroles, les effectifs de l’Opéra de Nantes et Angers ont été renforcés par ceux de l’Ensemble Leporello, venu de Belgique, avec lequel les Français avaient déjà collaboré. Il faut saluer la performance de ces chanteurs, dont les muscles vocaux ne peuvent s’appuyer sur le verbe, et la précision du travail commun. Presqu’instrumentale, la sonorité globale évoque celle d’un orchestre, un orchestre de voix.
Créée au Théâtre Graslin de Nantes le 19 janvier dernier, la production se prête remarquablement à des salles aux moyens modestes, et c’est de manière très opportune qu’elle tourne dans la région Pays de la Loire – qui finance d’ailleurs cette itinérance, excellent exemple de partenariat territorial, à l’instar de Saumur qui accueille ainsi pour la quatrième fois l’Angers Nantes Opéra, tandis qu’en retour les abonnés saumurois ont accès à des représentations de la saison angevine.
Gilles Charlassier
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