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Variations dépressives Normandie Deauville (Salle Elie de Brignac) 04/19/2014 - Dimitri Chostakovitch : Prélude et Scherzo pour orchestre à cordes, opus 11
Olivier Greif : Quadruple Concerto «La Danse des morts», opus 352 (#)
Wolfgang Amadeus Mozart : Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre, K. 364 [*] Pierre Fouchenneret (#), Amaury Coeytaux (*) (violon), Adrien Boisseau (#), Lise Berthaud (*) (alto), Jérôme Pernoo (#) (violoncelle), Jérôme Ducros (#) (piano)
L’Atelier de musique moderne, Maxime Pascal (#) (direction)
L’ouverture du dix-huitième festival de musique de Pâques confirme une nouvelle fois l’excellence de la formule qui permet à des musiciens chevronnés de mettre le pied à l’étrier de jeunes artistes, sous la houlette de l’infatigable découvreur de talents qu’est le maître de manège Yves Petit de Voize. Malgré la crise économique et la concurrence, on constate avec plaisir que de nombreux jeunes souhaitent s’engager au service de la musique et assument leurs passions en la matière en prenant le mors aux dents et que les anciens n’oublient pas d’où ils viennent et acceptent de se frotter aux jeunes générations sans en prendre ombrage. Ainsi, au travers de neuf concerts, dont six sont enregistrés par France Musique, une centaine d’interprètes vont ainsi, toutes générations confondues, jouer des pièces de Johann Sebastian Bach à Thomas Adès et Philippe Hersant, une belle part étant accordée cette année à la musique contemporaine, ce dont on ne saurait que se féliciter. On soulignera également que les efforts en direction de la jeunesse ne concernent pas que les musiciens mais aussi le public puisque les moins de vingt-cinq ans ont un accès libre aux concerts et qu’il y a même deux concerts gratuits. Tout est donc à nouveau réuni pour assurer le succès du festival dont l’essentiel des concerts se tient toujours dans la salle Elie de Brignac, conçue avant tout comme salle de vente de yearlings mais qui, au milieu des box et d’un écrin de verdure, bénéficie d’une excellente acoustique.
La première épreuve plaçait sur la ligne de départ des vétérans, fondateurs du festival (Jérôme Pernoo et Jérôme Ducros), et de jeunes instrumentistes à la crinière prometteuse pour un Prélude et Scherzo pour orchestre à cordes d’un Dmitri Chostakovitch (1906-1975) alors âgé de dix-neuf ans, presque l’âge des interprètes du soir. Les dix-huit musiciens en donnèrent une lecture parfois un brin désordonnée mais intéressante, le deuxième mouvement signant déjà l’originalité du compositeur par ses changements d’humeur et son côté grinçant.
Avec le Quadruple Concerto (1998) d’Olivier Greif (1950-2000), on était en terrain plus lourd. Le festival avait déjà été l’occasion de rendre un hommage appuyé au compositeur en 2010, deux lustres après sa mort prématurée. Ce soir, ses pages s’inscrivaient parfaitement dans la lignée esthétique de Chostakovitch. Dédiée à Yves Petit de Voize et résultant d’une commande du festival de Cordes-sur-Ciel, l’œuvre est naturellement véhémente et excessive mais moins noire que le titre de ses trois mouvements peut le laisser croire. Aux côtés d’un ensemble aussi brillant qu’éphémère – l’Atelier de musique moderne – et placé sous la direction de Maxime Pascal (né en 1985), qui connaît parfaitement ses pages, Jérôme Ducros en était le porte-étendard idéal puisqu’il fut un de ses créateurs. Lanceur d’une belle polémique, bien française, dans la revue Commentaire (n° 129, Printemps 2010) sur l’avenir de la musique contemporaine et le concept de modernité, il ne pouvait qu’y trouver comme une musique venant à l’appui de ses thèses à l’encontre des chapelles sérialistes, ou atonales d’une façon générale, que l’on pourrait peut-être résumer par des formules inverses de l’observation d’Arnold Schönberg selon lequel il y avait encore de la place pour de belles pages en do majeur : on ne peut plus écrire de bonne musique sérielle ou post-sérielle ; tout a été dit ; on n’assiste qu’à des redites. Olivier Greif propose effectivement une musique chargée de sens et se moquant des modes et des diktats esthétiques, très personnelle et d’accès plus facile que celle de Pascal Dusapin, parlant directement au cœur, quitte à briser les tympans sous le poids du trop-plein. Son «Réveil des morts», à la pulsation toute stravinskienne, était en tout cas dominé par le piano souverain de Jérôme Ducros ; il acheva d’ailleurs le mouvement de façon impressionnante en frappant le clavier comme une cloche sinistre. Les «Lamentationes Jeremiae» furent ensuite l’occasion de montrer l’excellence du trio de cordes soliste, notamment d’Adrien Boisseau à l’alto et de Pierre Fouchenneret au violon, vraiment excellent, le piano restant toujours là, implacable. La «Danse des morts» fut enfin irrésistible, malgré son manque de fini. C’est une superbe farandole et, emmenés par les anciens, les jeunes artistes y firent preuve d’une formidable énergie. Et le côté brouillon de l’exécution n’était finalement nullement déplacé pour ces pages déglinguées.
La Symphonie concertante (1779) de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) permit de retrouver un semblant de sérénité, avec un des piliers du festival, l’altiste Lise Berthaud, dont les fidèles du festival peuvent témoigner de la maîtrise instrumentale sans cesse croissante. Le duo qu’elle forma avec Amaury Coeytaux au violon était d’une grande cohérence et l’ensemble fut d’autant plus remarquable qu’il n’avait point de chef, le violon solo se contentant de se retourner de temps en temps vers ses amis pour marquer le tempo et les reprises. Certes, nos jeunes artistes purent paraître un peu verts et le deuxième mouvement, empreint de désespoir comme de grandeur, sembla un peu poussif mais l’exécution de la symphonie fut marquée par un grand sérieux et une probité exemplaire. A l’issue, le public, insuffisamment nombreux pour une soirée d’une telle intensité, obtint d’ailleurs sans peine une reprise de l’Andante central.
Stéphane Guy
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