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Lohengrin et la caverne

Madrid
Teatro Real
04/03/2014 -  et 6, 7, 10, 11, 13*, 15, 17, 19, 20, 22, 24, 27 avril 2014
Richard Wagner: Lohengrin
Christopher Ventris (Lohengrin), Catherine Naglestad (Elsa), Thomas Johannes Mayer (Telramund), Deborah Polaski (Ortud), Franz Hawlata (Le roi Heinrich), Anders Larsson (Le hérault)
Coro titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Pequenos Cantores de la JORCAM, Ana González (chef de chœur), Orquesta titular del Teatro Real (Orquesta sinfónica de Madrid), Hartmut Haenchen (direction musicale)
Lukas Hemleb (mise en scène), Alexander Polzin (décors), Wojciech Dziedzic (costumes), Urs Schönebaum (lumières), Pedro Chamizo (vidéo)


(© Javier del Real/Teatro Real)


Ah, Lohengrin! L’opéra de Wagner que Wagner n’a vu que des années après sa première (par Liszt), après beaucoup de représentations sans lui, exilé, proscrit en terres allemandes, qui aurait été incarcéré sitôt sa présence détectée dans n’importe quel petit duché, royaume ou province germanique. Il n’est pas obligatoire d’être wagnérien – qu’est-ce qu’un wagnérien? – pour aimer la beauté déchaînée de ses opéras, la beauté directe, immédiate de Lohengrin, la beauté peut-être supérieure de Tristan, du Crépuscule des dieux et de Parsifal. Mais, après tout, on a le sentiment que le McGuffin de Wagner est toujours semblable, voire identique: une société arrogante, satisfaite d’elle-même; un étranger arrivant dans cette communauté; le danger de mettre tout sens dessus dessous. Alors... il n’est pas insensé de placer le Brabant, où Lohengrin lutte dans le procès contre Elsa, à l’intérieur d’une grande grotte, une caverne, une société fermée dont l’extérieur n’est que la menace d’autrui (en l’occurrence, les Hongrois). Lukas Hemleb ne dessine pas sa caverne pour plaire: au contraire, ses décors son laids, de la même façon que les costumes de Wojciech Dziedzic sont pauvres, miteux. Hemleb laisse la caverne comme décor unique pour toute la représentation, et la caverne forme et informe le développement du drame, les actions et les réactions des personnages, l’histoire d’une hostilité et une erreur laissant derrière soi la magie, la superstition, le salut venu d’en haut, voire la religion. Il y a chez Hemleb et son équipe un concept très clair et une façon d’en représenter dont l’option est la laideur – un signe comme n’importe quel autre? Mais dans la laideur du Brabant de Hemleb, il y a la fleur de beauté d’âme et de voix de la jeune Elsa, l’innocente accusée; de la même façon qu’il y a la magie païenne déclinante d’Ortrud, et cette magie est de la magie noire, on dirait; un monde dont les restes des croyances d’antan essaient vainement de survivre dans la clandestinité et la magie. Qu’importe: ils sont tous condamnés. Curieusement, chez Wagner ce sont les dieux germaniques invoqués par Ortrud qui seront les protagonistes, juste après, de son grand projet lyrico-dramatique.


Malheureusement, Hemleb ne dirige pas parfaitement bien ses acteurs, et quelques gestes trop quotidiens du Roi ou de Telramund contrastent excessivement avec le chant et l’orchestre, qui frôlent le sublime. Décidément, le réalisme est un des dangers de l’opéra, un de ses ennemis, et Busoni le savait bien. De toute façon, Hemleb raconte l’histoire, et l’histoire est un conte, tout comme à Bayreuth, lorsque Hans Neuenfels nous fait croire que les Brabançons sont... des souris. On n’a pas de cygne, hélas. Mais on a la sculpture de Polzin, suggérée dans le bloc blanc semi-transparent, exposé à la fin de l’œuvre.


Du point de vue musique les choses sont beaucoup plus claires. Hartmut Haenchen a connu un vrai triomphe, et il semble que cela se soit renouvelé à chaque représentation. Il commence bien, voire très bien, mais cela progresse, augmente, devient de plus en plus intense, avec l’appui d’un orchestre en très bonne forme, ne demandant que la technique et la chaleur d’une baguette comme celle-ci. Le ténor britannique Christopher Ventris frôle le Lohengrin idéal de notre époque, voix claire et large, une belle couleur, une émission qu’on dirait inépuisable, une construction du personnage pleine de nuances et sans jamais tomber dans le grand danger de la banalité réaliste, mais sans statuaire, sans hiératisme, tout humain au-delà du merveilleux d’où il jaillit... et où il retournera. Un des rôles importants de Ventris est celui de Siegmund. Catherine Naglestad est, par sa part, une Sieglinde très importante. Et aussi Senta et Brühnnilde. Son Elsa est d’une beauté lyrique difficile à surpasser de nos jours, par la ligne, par la douceur du chant et du discours, par l’interprétation ambiguë d’un personnage dont l’ambiguïté n’est qu’une des nuances de sa personnalité, mi mythe (avec des ancêtres comme Pandora), mi inconscient collectif dans le sens de Jung. Thomas Johannes Mayer a une voix splendide et il l’utilise généreusement dans son rôle de vilain, Telramund. Le grand quatuor de solistes s’enrichit avec l’interprétation de Deborah Polaski dans la redoutable Ortrud, parfois un peu criarde, mais peut-être le véritable antagoniste du rôle-titre. Polaski est bien connue au Teatro Real, où elle a notamment chanté Kostelnicka et Elektra. Il ne faut pas oublier Franz Hawlata en le Roi Heinrich, malgré quelques difficultés dans les graves les plus bas: un signe du temps, peut-être. Et aussi Anders Larsson, remarquable Hérault, un rôle comprenant beaucoup plus d’interventions que ce qu’on peut attendre d’un personnage sans nom, sans action, dont la destinée théâtrale serait plutôt épisodique que secondaire.


L’Orchestre et le Chœur du Teatro Real ont joui d’un succès bien mérité, sous la formidable baguette de Hartmut Haenchen. Ils ont créé la maison sonore, belle sans reproches, où se développe la belle et triste histoire du héros tellement supérieur qu’on a toujours plus de sympathie pour la femme qui ne parvient pas à atteindre un niveau aussi élevé. Le public sort aussi du théâtre enveloppé par cette musique inépuisable. C’est Wagner, mon cher.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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