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Fièrement humaine Madrid Teatros del Canal 04/11/2014 - et 13, 15 avril 2014 Francis Poulenc: Concerto pour deux pianos – La Voix humaine María Bayo (soprano)
Juan Carlos Garvayo, Isabel Requeijo (piano), Orquesta sinfónica Verum, Ernest Martínez Izquierdo (direction musicale)
Paco Azorín (mise en scène et décors), María Araujo (costumes), Pedro Yagüe (lumières), Pedro Chamizo (vidéo)
M. Bayo (© Jaime Villanueva)
Il faut tout d’abord évoquer le titre du spectacle. C’est La Voix humaine, le monodrame de Poulenc, certainement, mais... Le titre: La voix humaine, de Jean Cocteau, concerto pour deux pianos, une femme seule et un téléphone impitoyable, de Francis Poulenc. La dernière fois qu’on a vu à Madrid La Voix humaine, c’était un spectacle double: la pièce par une comédienne, et l’opéra par une voix de soprano. C’était intelligent. Cette fois aussi, c’est très intelligent, mais différent. Le Concerto pour deux pianos permet une soirée un peu plus longue malgré la concision de ce grand trésor au petit format, et dessine en même temps un itinéraire rappelant les moments de joie insouciante avant l’action, ne manquant pas d’instants graves, voire lyriques (Allegro et Finale), concluant cette introduction concertante par le Larghetto, devenu ici le dernier mouvement, où la protagoniste arrive en scène, motivant ce qui vient juste après: le monologue, le téléphone, le chagrin, les larmes bloquées, le personnage absent, le désespoir... et un final pas prévu comme chez Cocteau et chez Poulenc (peut-être trop identifiés avec un type de femme, à l’époque).
Et tout cela dans un décor très beau, avec des clins d’œil à l’époque... et tout plein de bagages. La partition prévoit certes que l’orchestre doit être placé sur scène, derrière la protagoniste: pas de fosse, pas d’ensemble caché. On n’est pas dans la chambre close habituelle, mais dans une demeure transparente, au moins du point de vue théâtre. Mais les bagages? Les bagages sont là pour nous avertir, peut-être on devrait comprendre tout en voyant ces bagages-là dès le début: elle est dans sa chambre, avec ses vêtements qu’elle change plusieurs fois, elle y est, mais elle va partir. Il y a quelque chose de fini, on va ailleurs, qui sait, peut-être quelque chose d’autre nous attend pour recommencer. On n’est pas dans un cycle de lieder allemands, où il faut mourir absolument, mais dans une pièce française, où mourir est un extrême qu’on ne fréquente pas trop. On ne saura jamais pourquoi Cocteau et Poulenc ont condamné à mort cette belle femme. On ne saura jamais leurs remords conditionnant le dessin de la catastrophe. Paco Azorín appartient à une autre époque. Ce n’est pas une époque plus optimiste, pas du tout. Mais il ne croit plus à cette femme docile à en mourir. Il croit plutôt à une femme née avec Ibsen, Nora, qui ferme la porte très fort et s’en va. Ainsi, la femme au téléphone pensée et dirigée par Paco Azorín, une femme vivant dans un bel appartement, ou un hôtel chic, élégante, avec beaucoup de bagages, qui ferme la porte pour s’en aller... peut-être loin. Pas du tout pour mourir. Le chagrin, le deuil, le souvenir, l’adieu.
Le talent de Paco Azorín se développe grâce a la présence et la voix de María Bayo, dont la voix de soprano a visité très souvent le répertoire français (une Mélisande incomparable, mais aussi Leila, Micaëla, Juliette, Manon), et sa prononciation ne déçoit jamais les commentaires toujours alertes de nos collègues de l’Hexagone. María Bayo, seule en scène, avec l’orchestre derrière elle, étale une solitude nuancée, parce qu’on voit l’ensemble nombreux en contraste avec la solitude de la femme au téléphone et l’amour déçu. Pas la couleur, rien que nuance: encore une fois le conseil de Verlaine, mais cette fois-ci pour bâtir un personnage riche, tout un défi pour une voix dans son moment de splendeur. Ainsi, María Bayo.
Deux pianistes de valeur, Juan Carlos Garvayo et Isabel Requeijo, un bel ensemble, et une baguette (celle d’Ernest Martínez Izquierdo) qui ne perd jamais un détail et accompagne María Bayo, sans la voir directement, pendant son aventure de chagrin-évitant-le-pire. Ernest Martínez Izquierdo: n’oubliez pas ce nom, un chef d’orchestre qui compte, depuis de longues années, et qui a été formé notamment en France.
Il s’agit d’une coproduction avec le Gran Teatre del Liceu de Barcelone, où elle sera présentée la prochaine saison, dans le colisée des Ramblas. Il ne faut pas rater cette Voix, cette humanité.
Santiago Martín Bermúdez
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