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L’école de Rudolf Serkin

Geneva
Victoria Hall
04/11/2014 -  
Johann Sebastian Bach: Suite française n° 4, BWV 815
Ludwig van Beethoven: Sonate pour piano n° 23 «Appassionata», opus 57
Robert Schumann: Papillons, opus 2
Frédéric Chopin: Nocturne en si majeur, opus 62 n° 1 – Etudes, opus 25 n° 1, opus 25 n° 5 et opus 10 n° 4 – Scherzo n° 2, opus 31

Murray Perahia (Piano)


M. Perahia (© Udo Titz/Sony Classics)


Les mythes ont la vie dure et nous font croire qu’il existe des écoles de piano très typées, que la russe créerait des artistes flamboyants, l’italienne s’attacheraient au cantabile, les Français privilégieraient l’articulation et la clarté à la couleur tandis que les américains chercheraient avant tout la brillance et le panache. Rien de cela ne résiste à l’étude des faits puisque Genève vient de recevoir coup sur coup l’Orchestre de San Francisco, d’une retenue et d’une intériorité inattendues, auquel succède le plus probe des pianistes qu’est Murray Perahia.


Si l’amitié qui a lié Murray Perahia et Vladimir Horowitz a souvent été évoquée, le concert de ce soir montre qu’il faut cependant voir en son jeu l’influence d’un Rudolf Serkin et en particulier l’absence d’un ego visible qui viendrait se superposer à ceux des compositeurs. Il n’y a ainsi dans cette Quatrième Suite française de Jean-Sébastien Bach ni de recherche d’un style baroque un peu dogmatique ni de volonté d’insister sur une architecture toute mathématique. Si la pédale est utilisée, c’est pour prolonger l’expression et préserver la ligne. Les tempi sont naturels, permettant à la fois d’apprécier la vigueur des passages dansés ainsi que du phrasé de ceux plus intérieurs. La Sonate «Appasionata» lui permet de montrer sa capacité à maitriser une œuvre plus architecturée. Le développement de l’Allegro assai est superbement maîtrisé pour nous emmener vers un Andante con moto calme et serein avant de repartir vers un dernier mouvement joué d’un seul trait. Les Papillons de Schumann sont douze miniatures merveilleusement écrites pour le piano où le futur auteur du Carnaval nous évoque avec poésie tant de personnages. Perahia est ici un vrai conteur plein de fantaisie, d’imagination et d’élégance. Le Nocturne opus 62 n° 1 montre la qualité de son phrasé et les quelques Etudes qui suivent sont des moments de grâce où la virtuosité toute réelle sert à servir l’expression et le phrasé. Seul le Deuxième Scherzo souffre de quelques sforzandos un peu trop marqués mais marque surtout le fait que le pianiste vient de faire un récital bien exigeant.


Tout au long de cette soirée, la technique remarquable de Perahia n’attire jamais l’attention sur elle. Son toucher est superbe. Le jeu d’octaves si difficile et tant présent chez Schumann est parfaitement maîtrisé et sert avant tout à varier les nuances. Son rubato est très discret et il sait maintenir les tempi afin de ne pas accélérer dans les crescendos. Cette volonté de mettre de tels moyens pianistiques au service des compositeurs, c’est la marque de l’esprit de Serkin dont les plus illustres représentants en sont un Richard Goode, ou un Murray Perahia. Le public venu en masse au Victoria Hall ne s’y est pas trompé, a été d’une rare concentration et a été récompensé en bis par le Nocturne opus 15 n° 3 de Chopin et le Klavierstück opus 119 n° 3 de Brahms, autre bis favori de Serkin en son temps, un temps qui grâce à Perahia est toujours bien vivant.



Antoine Leboyer

 

 

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