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L’or brille toujours Paris Théâtre des Champs-Elysées 03/12/2014 - Franz Liszt : Orpheus
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano et orchestre n° 4 en sol majeur, opus 58
Richard Strauss : Ein Heldenleben, opus 40
Lars Vogt (piano)
Sächsische Staatskapelle Dresden, Christian Thielemann (direction)
C. Thielemann (© Sächsische Staatskapelle Dresden)
Vénérable institution que l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde, un des plus anciens orchestres du monde puisque fondé en 1548 par le Prince Electeur Moritz de Saxe! Après une première période faste passée sous la houlette de Heinrich Schütz, l’orchestre devient un des meilleurs d’Europe durant une bonne partie du XVIIIe siècle. Grâce à des personnalités aussi importantes que Johann Gottlieb Naumann ou Ferdinando Paër au début du XIXe, la phalange qui s’appelait alors la Chapelle musicale royale (Königliche Musikalische Kapelle) devient tout autant un orchestre pour œuvres instrumentales que pour œuvres lyriques, jouant les opéras de Weber comme ceux de Richard Strauss en passant bien évidemment par Wagner. Ayant eu comme chef titulaire des personnalités aussi fortes qu’Ernst von Schuch (1846-1914), Fritz Busch, Karl Böhm ou, plus près de nous, Giuseppe Sinopoli (1946-2001), l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde a choisi de confier sa destinée à Christian Thielemann depuis 2012. Pour notre plus grand bonheur, le Théâtre des Champs-Elysées accueille désormais ce magnifique orchestre presque chaque année sous la baguette des plus grands chefs, qu’il se soit agi de Myung-Whun Chung, Daniel Harding, Fabio Luisi, Georges Prêtre, Vladimir Jurowski ou, pour prendre l’exemple de l’année dernière, de Christian Thielemann pour un concert entièrement dédié à Wagner.
C’est de nouveau sous la direction de son actuel directeur musical que l’orchestre venait donc pour cet unique concert parisien, donné dans le cadre de sa troisième tournée européenne de la saison, qui le mène de Francfort à Baden-Baden en passant par Luxembourg et Vienne. Notons à cette occasion que Lars Vogt faisait là son unique apparition (les autres prestations du concerto de Beethoven ayant été confiées Radu Lupu) et que les seconds concerts donnés aussi bien à Vienne qu’à Baden-Baden ainsi que celui de Luxembourg étaient consacrés à la monumentale Cinquième Symphonie de Bruckner.
La physionomie du programme de ce soir était on ne peut plus classique: une œuvre brève en guise d’ouverture, un concerto et une grande pièce symphonique. Au-delà de ce seul constat, admettons néanmoins qu’Orphée (1854), poème symphonique de Liszt, est très rarement donné. D’emblée, Thielemann et l’orchestre placent la barre très haut: les harpes sont mélodieuses à souhait (rappelant à qui l’aurait oublié que Wagner avait surnommé l’orchestre «la harpe merveilleuse»), les cordes d’une finesse exceptionnelle, l’intervention du cor anglais doublé par la clarinette et le violoncelle solo d’une ductilité impressionnante... On se laisse très vite transporter par cette pièce brève (moins de dix minutes) où l’intervention des cuivres ne trouble guère l’impression générale de ce morceau aux couleurs wagnériennes bien affirmées.
Lorsque la Staatskapelle de Dresde était venue en septembre 2007 sous la baguette de son directeur musical d’alors, Fabio Luisi, le programme associait déjà Une vie de héros à un concerto pour piano de Beethoven, en l’occurrence «L’Empereur». Place ce soir au Quatrième sous les doigts du pianiste allemand Lars Vogt. Bien que précédé d’une réputation plutôt flatteuse (son interprétation des Sonates de Mozart avec Christian Tetzlaff est une référence), son interprétation suscite plus de l’énervement qu’autre chose. Une main droite extrêmement brutale (générant donc des aigus constamment criards) faisant ainsi passer les rares moments de délicatesse pour de l’affectation, une main gauche qui ne vaut guère mieux (quelle lourdeur dans le pourtant si bel Andante con moto), un jeu de pédales excessif de la première à la dernière note (jeu accompagné par ailleurs par d’incessants claquements de talons), sans compter des attitudes grandiloquentes mais qui, pour le coup, ne gênent au pire que les yeux. La surprise vient ici de l’orchestre; qui l’eût cru lorsqu’on connaît Christian Thielemann et ses tics interprétatifs? Bien que comptant quarante cordes, la Staatskapelle de Dresde se caractérise par une vraie douceur et une belle légèreté, apparaissant ainsi comme le seul élément de finesse dans ce dialogue avec le soliste. Néanmoins ovationné par le public, Lars Vogt donne en bis la Quinzième des Valses opus 39 de Brahms, permettant enfin au public d’avoir droit à un peu de piano.
Depuis la création de Feuersnot en 1901 sous la direction de von Schuch, la Staatskapelle de Dresde fait figure, plus encore peut-être que les Wiener Philharmoniker, d’orchestre straussien par excellence. Il faut dire que c’est cet orchestre qui créa plusieurs des chefs-d’œuvre lyriques de Strauss, notamment Salomé (1905), Elektra (1909) et, bien sûr, Le Chevalier à la rose (1911), sans compter ensuite et entre autres Arabella (1933) ou Daphné (1938). Une vie de héros (1899) est peut-être le poème symphonique qui, bien que mal compris lors de sa création, est aujourd’hui le plus populaire après Ainsi parlait Zarathoustra. Exigeant un orchestre d’élite, il a trouvé ce soir la phalange idoine avec la Staatskapelle de Dresde, qui aura livré une véritable leçon d’orchestre. Mais, là aussi, grande surprise de la soirée, la leçon a surtout été donnée par Christian Thielemann qui, contrairement à son habitude, a délivré une interprétation extrêmement claire, presque clinique, de l’œuvre, sans pathos, sans beaucoup de rubato, lui faisant finalement perdre une part de son mystère. Tout est parfaitement en place: les solistes au premier rang desquels la Konzertmeisterin Yuki Manuela Janke, censée incarner Pauline (la femme de Strauss, ici la «femme du Héros»), mais aussi le clarinettiste Wolfram Grosse ou le trompettiste Mathias Schmutzler, rivalisent de technicité et de musicalité; quant aux tutti (quels pupitres de violoncelles ou de contrebasses!), ils emportent tout sur leur passage, la scène du «Héros à la bataille» étant certes vibrante mais sans le côté exubérant que l’on pourrait souhaiter entendre dans cette page. Pour autant, et bien qu’ayant pris le début de l’œuvre à bras le corps au point que l’on a cru manquer de respiration dans la suite du discours musical, Christian Thielemann conclut le poème symphonique de la plus belle manière, malheureusement sans bis. Herbert von Karajan aimait à dire que les couleurs de l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde étincelaient «comme l’éclat du vieil or»: on en aura eu une nouvelle preuve ce soir.
Le site de l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde
Le site de Lars Vogt
Sébastien Gauthier
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