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A Versailles, Herculanum renaît de ses cendres Versailles Théâtre Royal 03/08/2014 - Félicien David : Herculanum Véronique Gens (Lilia), Karine Deshayes (Olympia), Edgaras Montvidas (Hélios), Nicolas Courjal (Nicanor, Satan), Julien Véronèse (Magnus)
Vlaams Radio Koor, Brussels Philharmonic, Hervé Niquet (direction)
H. Niquet (© Eric Manas)
Le musicien attitré des saint-simoniens, qui rêvaient d’une société égalitaire émancipée par les progrès de l’industrie, ne connut la notoriété qu’avec l’Ode-Symphonie orientaliste Le Désert en 1844. Tout bascula alors dans la vie de Félicien David, qui avait souvent atteint, comme on dit aujourd’hui, le seuil de pauvreté. Les enfants du « Père Enfantin », il est vrai, durent se disperser après que le gouvernement de Louis-Philippe eut dissous le groupe en 1832. C’est ainsi que David partit pour l’Egypte et fut marqué à jamais par ce qu’il entendit au cours de son voyage. Créé en 1859 à l’Opéra, Herculanum, en revanche, ressortit au grand opéra par son déploiement de décors, ses scènes grandioses, l’éruption du Vésuve à la fin – comme dans La Muette de Portici d’Auber, un grand opéra avant l’heure. Le succès de ce péplum musical propulsa David au premier plan de la vie musicale et il mourut chargé d’honneurs en 1876, même s’il ne composa plus, après Herculanum, que des opéras-comiques, en particulier Lalla-Roukh, où il revenait à son cher Orient.
L’amour de deux jeunes chrétiens est menacé par Olympia et son frère le proconsul Nicanor : celui-ci rêve en vain de posséder Lilia, tandis qu’Olympia, grâce à un philtre, fait d’Hélios son amant. Mais le châtiment s’abat sur le païen lorsqu’il nie l’existence du dieu des chrétiens : la foudre le terrasse. Satan s’incarne alors sous ses traits. L’éruption du Vésuve engloutira la cité et permettra au couple chrétien, réuni par le pardon de Lilia et porté par sa croyance, d’accéder à la vie éternelle. Un sujet favorable aux règles du genre, entre bacchanales, couplets sataniques et affirmation de la vraie foi – le credo de Lilia épouse le rythme d’une marche conquérante. Le compositeur montre un évident don mélodique, un art très sûr de l’instrumentation, un sens du théâtre. L’influence italienne s’unit à la tradition française : certains passages rapides relèvent de la cabalette, le rôle d’Olympia est souvent orné. On peut trouver çà ou là une tendance au pompiérisme, parfois aussi un côté Offenbach... qu’on trouve aussi, après tout, dans Un bal masqué de Verdi, créé à Rome quinze jours avant Herculanum. Il n’empêche : beaucoup de pages méritent d’être écoutées de près, à commencer par le très réussi dernier acte, qu’inaugurent des couplets sataniques n’ayant rien à envier à Meyerbeer.
Remercions donc le Palazzetto Bru Zane-Centre de musique romantique française d’avoir, fidèle à sa mission, exhumé cette pièce du répertoire français. On disposera bientôt d’un enregistrement et Herculanum sera alors complet : souffrante, Karine Deshayes n’a pu chanter les airs d’Olympia et a dû murmurer ou parler le reste de son rôle. Cela, pour autant, ne défigure pas l’œuvre, que les autres interprètes défendent vaillamment. Véronique Gens incarne une fois de plus la grande tradition du chant français, par la clarté de l’articulation, le naturel de la déclamation, la noblesse du style et de la composition, aussi à l’aise dans l’élégie que dans la vaillance. Face à cette exemplaire Lilia, Nicolas Courjal, dont le timbre acéré va comme un gant à Nicanor et à Satan, se laisse parfois dépasser par la noirceur de son personnage, surtout aux deux premiers actes, où le chant semble parfois trop brut ; les deux derniers, en revanche, le montrent plus châtié, ce qui n’émousse en rien la perversité jalouse du démon. Sans doute pourrait-on trouver aujourd’hui, pour Hélios, un ténor français, mais Edgaras Montvidas relève le défi, par la qualité de l’articulation, l’homogénéité d’une voix avec du bronze dans le timbre, la justesse du phrasé, même si la manière, parfois, reste plus italienne que française. Et Julien Véronèse, en Magnus, a la noblesse du prophète.
A défaut de subtilité, Hervé Niquet dirige avec passion et panache, un sens de l’urgence théâtrale et des combinaisons de couleurs. C’est carré, mais ça avance, ça bouge et ça vit. Il faut seulement passer sur une gesticulation en guise de battue, assez peu conforme à la technique de direction d’orchestre. Le Brussels Philharmonic, d’ailleurs, s’avère assez moyen, alors qu’il peut être bien meilleur, conduit par son directeur Michel Tabachnik, par exemple – le chœur, lui, est excellent. Le disque présentera ainsi deux avantages : on entendra Olympie et on ne verra pas le chef. En attendant, on écoutera, pour découvrir Félicien David chambriste, des extraits des Quatre saisons, vingt-quatre « Soirées » pour quintette à cordes avec deux contrebasses, par Christophe Coin et l’Ensemble baroque de Limoges (Laborie), et trois quatuors à cordes par le Quatuor Cambini-Paris (Ambroisie), œuvres traditionnelles mais de parfaite facture et d’une grande fraîcheur d’inspiration : le compositeur du Désert ne délaissa jamais la musique de chambre.
Didier van Moere
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