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Le Werther latin de Roberto Alagna Paris Opéra Bastille 01/19/2014 - et 22, 25, 29 janvier, 2, 5, 9, 12 février 2014 Jules Massenet : Werther Roberto Alagna*/Abdellah Lasri/Luca Lombardo (Werther), Jean-François Lapointe (Albert), Jean-Philippe Lafont (Le Bailli), Luca Lombardo (Schmidt), Christian Tréguier (Johann), Karine Deshayes (Charlotte), Hélène Guilmette (Sophie), Alix Le Saux (Kätchen), João Pedro Cabral (Brühlmann)
Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, Orchestre de l’Opéra national de Paris, Michel Plasson (direction)
Benoît Jacquot (mise en scène)
R. Alagna (© Opéra national de Paris/Julien Benhamou)
Ce fut une des rares grandes réussites du mandat de Nicolas Joel et ce Werther de 2010 méritait bien une reprise. Mais qu’allait donner, après Jonas Kaufmann, Roberto Alagna ? Sa parfaite antithèse : autant l’un était sombre, par le timbre et l’incarnation, icône du romantisme allemand surgie d’un cycle de Schubert ou d’un tableau de Friedrich, autant l’autre est lumineux, par le timbre et l’incarnation aussi, totalement étranger au monde qui l’entoure. Annoncé souffrant, le ténor hésite un peu au début, puis se reprend très vite, dès le premier acte. Toujours aussi bluffant par le métal solaire de la voix, l’homogénéité de la tessiture, la facilité de l’aigu. Un Werther beaucoup plus sanguin, beaucoup plus instinctif, beaucoup plus extraverti que celui de Kaufmann, le cœur plus à vif, sans doute moins naturellement le personnage – il est davantage Des Grieux, par exemple. Ce Werther manque un peu de zones d’ombre, en particulier dans la longue et lente agonie, parfois aussi de nuances. Il n’empêche : on rend les armes devant le chanteur, devant cet Alagna chez qui se perpétue la plus grande tradition française.
Le soleil du ténor ne fait pas d’ombre à sa partenaire. Plus à l’aise que dans les emplois de contralto rossinien, où le grave manque souvent, le mezzo de Karine Deshayes s’épanouit en Charlotte, dont la passion réfrénée s’accommode bien de la relative froideur du timbre – la plus ténébreuse des deux, c’est elle. Les registres se soudent parfaitement, mieux que les phonèmes : pas de distorsion entre l’élégiaque air des larmes et le très tendu « Seigneur Dieu, Seigneur », qui sollicitent des zones très différentes de la tessiture. Jean-François Lapointe aurait de quoi séduire cette Charlotte : il porte très beau vocalement, par la voix et le style ; on l’aimerait seulement plus ambigu, plus inquiet. Hélène Guilmette, elle, n’est que fraîcheur et lumière en Sophie, jamais fadeur. Autour des quatre protagonistes, des personnages bien campés : joyeux compères de Christian Tréguier et Luca Lombardo, Bailli jovial de Jean-Philippe Lafont.
Fidèle à lui-même, Michel Plasson retrouve avec l’orchestre cette complicité qui faisait le prix de sa direction il y a quatre ans. Le contraire – heureusement – de François-Xavier Roth dans Lakmé : sans jamais se précipiter, d’une souplesse déliée, il s’abandonne à la musique, en flatte les courbes, en marie les couleurs avec une gourmandise sensuelle, certes peu soucieux d’urgence théâtrale, fait de Werther un opéra de l’intimité douloureuse – dirigeant en finesse, aussi, les passages « opéra comique » un peu datés. Reste à savoir si cette direction plutôt introvertie s’apparie idéalement avec le Werther d’Alagna. De même, la reprise de la production de Benoît Jacquot avait été conçue autour et pour Jonas Kaufmann, pour son aura nocturne, plus axée sur les sentiments individuels que sur les pesanteurs sociales : si elle fonctionne toujours, le romantisme allemand s’est estompé, sa littéralité paraît moins subtile, voire un peu plate.
Nonobstant nos réserves, ne boudons pas notre plaisir : dans une saison où, jusqu’à présent, les nouvelles productions ont été des ratages, où seules les reprises ont sauvé l’honneur de la maison, ce Werther fait du bien.
Didier van Moere
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