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Orfeo aux confins du réalisme Nancy Opéra 01/10/2014 - 12, 14, 16, 17 janvier 2014 Claudio Monteverdi : Orfeo
Gyula Orendt (Orfeo), Emöke Baráth (Euridice), Carol Garcia (La Musique, La Messagère, L’Espérance), Gianluca Buratto (Charon, Pluton), Elena Galitskaya (Proserpine, Une Nymphe), Damien Thantrey (Apollon), Reinoud Van Mechelen, Alexandre Sprague, Nicholas Spanos, Daniel Grice (Les Nymphes, Les Bergers, Les Esprits)
Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Les Talens lyriques, Christophe Rousset (direction musicale)
Claus Guth (mise en scène), Christian Schmidt (décors), Linda Redlin (costumes), Olaf Winter (lumières), Arian Andiel (vidéo), Konrad Kuhn (dramaturgie)
(© Opéra national de Lorraine)
Nonobstant sa position inaugurale dans l’histoire de l’opéra, l’Orfeo de Monteverdi, sobrement décrit du point de vue générique comme une fable en musique, constitue en réalité un défi à la mise en scène, tant la dimension théâtrale se résume essentiellement à l’évocation poétique. C’est pourtant le pari qu’a décidé de tenir Claus Guth dans une production étrennée au Theater an der Wien en septembre 2012.
Le living avec mezzanine dessiné par Christian Schmidt nous plonge dans les épousailles d’un professeur d’université américaine des années soixante ou soixante-dix. Le décorum de temple antique installe le mythe au cœur de la réalité quotidienne à la manière d’une blague potache. Les réjouissances de cette petite assemblée se révèlent contagieuses à la fosse, emportée dans un rythme particulièrement allant. Le concept théâtral fonctionne ainsi pendant la première partie, nonobstant quelques crudités contingentes, à l’instar de la parodie de trophée nuptial à forme phallique. Hélas, la suite du spectacle ne tire pas parti de ces prémisses prometteuses, quoique homologuées, déjouant la césure attendue entre les deux niveaux du dispositif scénographique, l’ici-bas et l’au-delà. La déchéance naturaliste d’Orphée finit dans un sinistre mélange d’alcool et de barbituriques. Mais plus que son réalisme appuyé, cette lecture manque le frémissement du fantasme sous le voile du réel, nœud herméneutique de la remontée des Enfers – fondée sur la confiance d’Orphée, le vivant, à une promesse du royaume des morts par l’entremise de Pluton – à laquelle ici on ne peut accorder aucune crédibilité sérieuse. Du moins peut-on apprécier une variété de tons qui siérait davantage au Couronnement de Poppée.
Dans sa défroque à mi-chemin entre universitaire américain et séminariste orthodoxe, Gyula Orendt affirme une présence indiscutable dans le rôle-titre, inscrivant sa voix généreuse dans les contraintes du mélisme montéverdien. A ses côtés, Emöke Baráth compose une séduisante Eurydice. Carol Garcia habille la Musique autant que la Messagère et l’Espérance de sa voix ample et musquée, tandis qu’Elena Galitskaya distille une irrésistible fraîcheur que l’on retrouve dans sa Nymphe comme dans Proserpine. Charon réversible en Pluton, Gianluca Buratto fait entendre une indiscutable maîtrise. Parmi nymphes, esprits et bergers, on saluera particulièrement Reinoud Van Mechelen et Daniel Grice, alors que l’on restera réservé envers Daniel Thantrey, Apollon à la précision aléatoire. Portés sans doute par l’énergie de Christophe Rousset, les Chœurs de l’Opéra national de Lorraine réservent, par leur assimilation du style, une agréable surprise. Sous la houlette de leur directeur artistique, Les Talens lyriques nourrissent la partition d’une jubilatoire consistance. Les tempi sont ainsi doués d’une fascinante élasticité, n’hésitant à imprimer une vigueur accrue à la joie impatiente, quand l’accentuation des récits distend parfois exagérément ces derniers, au point de leur fait perdre de leur naturel. En tous cas, un témoignage de la maturation esthétique de Christophe Rousset et de ses musiciens.
Gilles Charlassier
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