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Orchestre en péril

Baden-Baden
Festspielhaus
12/14/2013 -  
Arnold Schoenberg :Concerto pour violon, opus 36
Anton Bruckner : Symphonie n° 9

Michael Barenboim (violon)
SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, Michael Gielen (direction)


M. Barenboim, M. Gielen (© Stephanie Schweigert)


L’Allemagne reste aujourd’hui un pays fortement cloisonné dans son régionalisme, ce qui peut sans doute expliquer que l’un des meilleurs orchestres symphoniques du pays soit menacé de disparition à court terme sans que cela paraisse affoler beaucoup de monde au niveau national. Une radio régionale fait fonctionner de longue date deux orchestres, installés dans deux villes à une centaine de kilomètres de distance mais estime qu’aujourd’hui il serait opportun de les fusionner en une seule phalange itinérante, solution plus économique. Les décideurs politiques locaux sont d’accord et voilà le projet adopté, en dépit des protestations de tout ce que l’Allemagne compte de sensibilités musicales. Car il s’agit rien moins que de faire disparaître l’Orchestre du SWR de Baden-Baden et Freiburg, l’instrument historique d’Ernest Bour, Hans Rosbaud, Hanz Zender et Michael Gielen, en le faisant fusionner avec une formation homologue, plutôt moyenne voire anonyme : l’Orchestre du SWR de Stuttgart. Tout est programmé, pour 2017, donc quasiment demain, manifestations et pétitions ne semblant pas y changer grand-chose. Encore que quelques espoirs soient récemment apparus : on commencerait à réfléchir en haut lieu à cette situation aberrante, d’autant plus qu’en dernier recours une privatisation totale de l’orchestre, sous forme de fondation, à l’image de ce qui existe déjà localement pour le Festspielhaus de Baden-Baden, serait aussi envisagée. Solution désespérée pour éviter à terme ce qui équivaudrait à un véritable sinistre culturel.


En attendant d’être fixé sur son sort l’Orchestre du SWR de Baden-Baden et Freiburg continue de se produire dans des conditions normales, sans même d’attitude ouvertement revendicatrice, toujours sous la direction musicale de notre compatriote François-Xavier Roth. Seul un pin jaune barré de rouge arboré par chaque musicien vient rappeler qu’actuellement l’atmosphère est morose et que la rancœur contre l’arbitraire politique est de plus en plus profonde. Au pupitre, ce soir, le vétéran Michael Gielen, 86 ans, longtemps chef permanent, refait une apparition très attendue. Toujours droit et ingambe mais dirigeant à présent assis sur un tabouret, devant un pupitre violemment éclairé par une lumière blanche semblant indiquer quelques problèmes de vision, Gielen impressionne encore comme peu de ses collègues par la vivacité de ses gestes et par le contrôle souverain qu’il exerce sur tout ce qu’il dirige. Ici les épanchements romantiques sont peu à l’ordre du jour. On construit sérieux et droit. Le texte est servi d’abord et l’émotion ne vient qu’ensuite, mais elle est bien là.


On reconnaît tout aussi immédiatement Gielen dans le choix de son programme, qui a peut-être dissuadé plus d’un candidat auditeur, dans un Festspielhaus peu rempli, encore que garni d’un public attentif. Le Concerto pour violon de Schoenberg n’est un cadeau pour personne, et surtout pas pour son soliste. On admire vraiment le jeune Michael Barenboim, qui fouille d’un archet minutieux tous les contours d’une partition maîtrisée jusqu’au moindre détail, et de surcroît jouée par cœur. De son côté Michael Gielen (disciple et neveu d’Eduard Steuermann, schoenbergien convaincu) polit chaque intervention instrumentale en lui gardant tout son poids, d’un expressionnisme souvent âpre. Reste pour l’auditeur à s’accrocher à ces immenses pans de parois rocailleuses, d’une aridité combinatoire décourageante à plus d’un endroit. Schoenberg à son plus dogmatique, même un soir d’évidente bonne volonté, c’est parfois très dur !


Le choc avec les grandes masses bruckneriennes, aussi solidement assises que l’œuvre précédente est fuyante, n’en est que plus violent, mais Gielen est coutumier de ce genre de contraste. Et sa lecture de Bruckner n’est évidemment pas celle d’un simple amateur de spectaculaire. Ici ce sont les plans sonores qui résonnent entre eux, les effets de texture, voire l’impact physique des musiques d’orgue qui sont recherchés. L’originalité de l’écriture brucknerienne, son caractère novateur issu de son apparente naïveté même, sont mis en exergue comme rarement par ce champion de la modernité, avec toujours la même infaillibilité d’analyse. L’orchestre le suit avec panache, même si on l’a connu dans des formations plus convaincantes (la première rangée des vents ne paraît pas toujours bien assortie, avec quelques inconsistances relatives). L’âge certain du maître d’œuvre est peut-être pour quelque chose dans l'ambiance crépusculaire de ce concert mais pas seulement : on y perçoit parmi les musiciens comme une impression diffuse de lassitude, une incertitude angoissante de l’avenir qui ne peut que nuire à la qualité d’un ensemble de ce niveau. Espérons que le ciel s’éclaircira bientôt. Car cet orchestre vaut vraiment la peine qu’on le sauve de sa disparition programmée.



Laurent Barthel

 

 

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