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Le romantisme de l'ennui

Paris
Opéra Comique
12/09/2013 -  et 11, 12, 14, 15 décembre 2013
Robert Schumann : Manfred, opus 115
Pascal Rénéric (Manfred), Astrid Bas (La Fée, Le fantôme d’Astarté)
Chœur les éléments, La Chambre Philharmonique, Emmanuel Krivine (direction)
Georges Lavaudant (mise en scène et lumières)


P. Rénéric (© Julien Etienne)


Si le romantisme s’identifia à Faust, il s’incarna également dans le Manfred de Byron, ce héros autodestructeur et suicidaire, très faustien d’ailleurs, sorte d’héautontimorouménos baudelairien avant l’heure, coupable d’avoir aimé sa sœur. Comment Schumann, dont la propre sœur s’était suicidée, n’aurait-il pas été tenté d’y voir un double de lui-même ? Le chœur final, absent du drame de Byron, laisse songeur : Manfred prend sur lui la responsabilité, refusant aussi bien la damnation que le pardon. Mais le musicien des Scènes de Faust, qui rêvait de « l’opéra allemand » n’était pas fait pour la scène : après l’échec de Genoveva, Manfred s’appellera « Poème dramatique de Lord Byron, avec musique », tentative de renouvellement à travers une expérience de « théâtre mental ». Schumann réduit le texte de Byron des deux tiers, emprunte à une traduction allemande, confie le rôle-titre à un acteur, associe parole et musique dans des mélodrames. L’ami Liszt créa l’œuvre à Weimar, en 1852 ; la maladie que l’on sait empêcha Schumann d’aller jusqu’au bout du voyage de Weimar. Que reste-t-il de Manfred, hormis la superbe et célèbre Ouverture ? Des morceaux parfois très beaux, mais qui ne composent pas un vrai moment de théâtre, d’autant plus que le texte semble aujourd’hui assez daté. Manfred, au fond, ne nous intéresse que parce qu’il nous révèle de Schumann, de l’homme et du compositeur. Pas en tant qu’œuvre.


L’Opéra Comique risquait donc gros à vouloir monter cet opus 115. S’il a eu le mérite de le faire, il s’y est cassé les dents, doublement victime. De la partition elle-même, plus encore de la production. A l’heure du sur-titrage, ne valait-il pas mieux convoquer un comédien allemand pour incarner le héros – ainsi que la Fée et le fantôme d’Astarté, la sœur aimée et disparue ? Alors que le chœur chante en allemand, l’association des deux langues passe mal, pour ne rien dire des mélodrames. Georges Lavaudant, de plus, signe une mise en scène d’abonné absent : ce décor noir, quasi vide, où perce parfois l’ombre de Friedrich, sert de cadre à un nocturne où rien ne paraît se passer, où le Manfred monotone de Pascal Rénéric reste livré à lui-même – la sonorisation est-elle d’ailleurs vraiment nécessaire ? Une direction d’acteurs aussi minimale, fatale aux chœurs, au lieu de sauver l’entreprise, en consacre l’échec. Un Olivier Py, par exemple, aurait-il réussi l’impossible ? Le romantisme des profondeurs, en tout cas, se mue ici en romantisme de l’ennui : ce Manfred est une purge. On n’attendait donc tout de la musique : si le chœur les éléments soutient sa réputation d’excellence, Emmanuel Krivine, peu inspiré, dirige une Chambre Philharmonique aux sonorités sèches, pas toujours homogène, parfois approximative. Une occasion manquée.



Didier van Moere

 

 

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