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Wagner, mode d’emploi (selon Jan Fabre)

Lille
Opéra
11/23/2013 -  et 25, 26 novembre 2013
Tragedy of a Friendship
Lies Vandewege, Hans Peter Janssens (chanteurs), Nikolaus Barton, Annabelle Chambon, Cédric Charron, Ivana Jozic, Gustav Koenigs, Silke Muys, Anne Pajunen, Kurt Vandendriessche, Solène Weinachter, Fabienne Joanne Vegt (performers)
Jan Fabre / Troubleyn (concept, mise en scène, scénographie), Moritz Eggert (composition), Stefan Hertmans (texte), Miet Martens (dramaturgie)


(© Wonge Bergmann)


Parallèlement aux deux expositions que le Palais des Beaux-Arts consacre à l’homme de théâtre, auteur et plasticien belge jusqu’au 10 février, l’Opéra de Lille représente à trois reprises Tragedy of a Friendship de Jan Fabre, créé au Vlaamse Opera le 15 mai dernier. Trois heures et quinze minutes sans entracte : aucune échappatoire a priori mais déjà après une demi-heure, des spectateurs quittent la salle au fur et à mesure en obligeant leurs voisins à se lever. Ce comportement égoïste choque davantage que ce spectacle, que le site de l’Opéra déconseille d’ailleurs prudemment aux moins de dix-huit ans. Ces âmes sensibles devaient pourtant bien se douter que Jan Fabre n’allait pas ménager le public.


Les treize opéras de Wagner forment la trame de ce projet multidisciplinaire qui prend comme point de départ l’amitié brisée entre Nietzsche et le compositeur. L’artiste revisite chacun d’eux dans l’ordre chronologique et livre le résultat de ses réflexions – de ses élucubrations, affirmeront certains – dans une suite continue de séquences iconoclastes. Dans une scénographie d’une étrange beauté, où le corps féminin et le sexe reviennent comme des leitmotivs, la trivialité rencontre la grâce et l’humour. L’épisode du viol, cru et réaliste, constitue le seul passage susceptible de choquer, mais cette longue scène durant laquelle les performers en sous-vêtements simulent chacun un coït dans une progression rythmique inexorable, dans un concert de râles et d’orgasmes simulés, s’achève finalement par un éclat de rire du public alors que le moment durant lequel ceux-ci exposent différentes parties de leur corps (aisselles, seins, organes génitaux) avec la flamme d’une bougie suscite par contre le malaise – durant cette séance de masturbation collective mêlant plaisir et douleur, l’une des comédiennes ne se retient plus et urine sur sa bougie. Jan Fabre tourne en dérision quelques héros comme le Hollandais, Siegfried et, surtout, Tristan et Isolde, qui chantent leur duo d’amour suspendus à des cintres, comme deux tristes pantins, et recourt à l’univers et à la symbolique wagnériens comme le cygne, l’épée, l’arc, la lance, l’armure – même les nains du Nibelheim, drôlement, caricaturés répondent à l’appel.


Moritz Eggert a composé pour l’occasion une musique librement inspirée de Wagner, dans un idiome contemporain pour les pages symphoniques, dans un style plus détourné pour les airs – dommage qu’il s’agisse seulement d’une bande son mise au point par l’Orchestre symphonique du Vlaamse Opera. En revanche, diffuser la musique originale en recourant à des enregistrements historiques – des vinyles soigneusement dépoussiérés avant et après l’écoute – produit un effet surprenant. Toscanini apparaît d’ailleurs sur la toile placée en fond de scène sur laquelle défilent des images évocatrices comme cette langue qui se dirige comme un serpent vers une bouche renversée. Le texte de Stefan Hertmans, particulièrement sophistiqué, tend parfois à passer au second plan à cause de la puissance et de l’originalité des tableaux imaginés par Jan Fabre, qui réussit l’exploit de surprendre jusqu’au bout, de sorte que la soirée se déroule sans la moindre lassitude. Ce dernier obtient des deux chanteurs (Lies Vandewege, Hans Peter Janssens, vocalement moyen) et des dix performers un investissement total. A lire avant et après la représentation, le texte de Luk Van den Dries figurant dans le programme apporte un éclairage utile sur ce spectacle sans concession et hors du commun, moins un pamphlet contre Wagner qu’une célébration singulière et complexe de ce génie de l’Histoire de la musique.


Le site de Jan Fabre
Le site de Moritz Eggert



Sébastien Foucart

 

 

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