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Des Dialogues en situation

Nantes
Théâtre Graslin
10/15/2013 -  et 17, 20 octobre, 5*, 7 (Nantes), 15, 17 (Angers) novembre 2013
Francis Poulenc : Dialogues des carmélites
Frédéric Caton (Le Marquis de la Force), Stanislas de Barbeyrac (Le Chevalier de la Force), Anne-Catherine Gillet (Blanche de la Force), Doris Lamprecht (Mme de Croissy), Sophie Junker (Sœur Constance), Hedwig Fassbaender (Mère Marie), Catherine Hunold (Mme Lidoine), Hélène Lecourt (Sœur Mathilde), Christine Craipeau (Mère Jeanne), Mathias Vidal (L’aumônier), Philippe-Nicolas Martin (Le second commissaire, Le geôlier), Marc Scoffoni (M. Javelinot, Un officier), Jean-Jacques L’Anthoën (Le premier commissaire), Eric Vrain (Thierry)
Chœur d’Angers Nantes Opéra, Xavier Ribes (direction), Chœur de l’Orchestre national des Pays-de-la-Loire, Valérie Vaysset (direction), Orchestre national des Pays-de-la-Loire, Jacques Lacombe (direction musicale)
Mireille Delunsch (mise en scène), Rudy Sabounghi (décors & costumes), Dominique Borrini (lumières)


(© Jef Rabillon)


Après Toulon en début d’année et Lyon le mois dernier, et avant le Théâtre des Champs-Elysées le mois prochain, c’est au tour de Nantes (puis Angers) d’offrir la deuxième des trois partitions lyriques de Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites, à l’occasion du cinquantenaire de sa disparition. La régie – signée par la soprano française Mireille Delunsch – a été étrennée à l’Opéra de Bordeaux en février dernier, où elle a reçu un accueil public, comme critique, très favorable.


On était curieux de voir comme Mireille Delunsch, qui a interprété les rôles de Blanche et de Madame Lidoine par le passé, allait aborder cette œuvre si difficilement détachable des traditions de la scène lyrique – à l’instar de Christophe Honoré à Lyon (c’était pour tous deux une première incursion dans la mise en scène d’opéra). Là où le cinéaste français a pris beaucoup de liberté avec la spatio-temporalité du livret, Delunsch, elle, est restée très fidèle au carmel et à l’époque révolutionnaire. Son travail fait valoir une rare et précieuse force expressive, ainsi qu’une cohérence de ton exemplaire. Il semble axé sur la clarté et la luminosité, les contrastes – intérieurs et extérieurs –, l’épreuve admise voire désirée, la spiritualité affirmée, revendiquée même. Le parcours des carmélites s’inscrit ainsi dans une trajectoire toujours ascendante, traversée par le doute, la peur, mais en soi inéluctable.


La simplicité et la fonctionnalité des décors (signés Rudy Sabounghi), la beauté formelle des costumes (également conçus par Sabounghi), la souplesse des éclairages de Dominique Borrini (on se souvient qu’il avait également signé ceux – magnifiques – de la fameuse production de Marthe Keller à l’Opéra du Rhin en 1999), tous ces éléments se conjuguent et s’affirment les uns les autres. Ainsi, chaque scène se nourrit de la précédente et serait à citer en exemple de la démarche. L’épilogue, un des plus poignants de toute l’histoire de l’art lyrique, est, par exemple, magistralement traité: sous le regard d’une foule hostile, les religieuses montent une à une – au rythme des claquements sinistres du couperet – un escalier qui mène vers une guillotine placée dans les dégagements (après avoir traversé le plateau). A chaque vie fauchée, une des nombreuses bougies, placées à l’avant-scène, s’éteint: image d’une intense force émotionnelle.


Entièrement renouvelée par rapport aux représentations bordelaises, la distribution rend pleinement justice à la partition de Poulenc, le texte de Bernanos étant de son côté déclamé dans un français parfaitement intelligible, même pour les rôles – ceux de Madame de Croissy et de Mère Marie – confiés à des artistes de langue étrangère, germanique en l’occurrence.


Dans le rôle de Blanche de la Force, la délicieuse Anne-Catherine Gillet s’avère d’une justesse idéale et d’une rare force de conviction, épousant par ailleurs, avec une belle facilité, l’ensemble de la tessiture. Excellente comédienne, la soprano belge parvient à traduire les angoisses de la jeune aristocrate, et trouve très certainement ses meilleurs moments dans l’entretien avec Madame de Croissy et dans la magnifique scène où son frère, le Chevalier, vient lui dire adieu. Une fine musicienne qui, avec davantage d’expérience du rôle, pourrait en devenir une interprète d’exception, ce qu’elle n’est pas loin d’être déjà. Sa consœur (de tessiture comme de nationalité) Sophie Junker, déjà appréciée in loco dans l’emploi d’Amour de l’Orphée gluckiste, campe une Sœur Constance pleine d’espièglerie et de touchante simplicité. Dans le rôle de la vieille Prieure, Madame de Croissy, la mezzo autrichienne Doris Lamprecht convainc également, en nous offrant une mort sans fard, dénuée de toute concession, d’une puissance dramatique confondante car juste, réaliste, étrangement ressentie. Malgré des aigus désormais indurés et un timbre qui a perdu de son émail, la mezzo allemande Hedwig Fassbaender incarne, quant à elle, une Mère Marie à la présence physique impérieuse. Révélée à Rennes dans le rôle de Brünnhilde la saison passée, la superbe soprano dramatique française Catherine Hunold campe une solide et forte Madame Lidoine, ce qui n’exclut en rien une rayonnante humanité et une profonde compassion dans son jeu scénique – notamment lors de ses adieux à ses «filles» –, ni le frémissement de la ligne de chant et l’art de la cantatrice dans la demi-teinte.


Enfin, les rôles masculins sont parfaitement distribués: Frédéric Caton campe un Marquis profondément humain, Mathias Vidal offre sa voix percutante à l’aumônier, tandis que le jeune et talentueux ténor français Stanislas de Barbeyrac, déjà présent à Toulon en Chevalier de la Force, réanime le bonheur qu’il avait su à l’époque suscité en nous, grâce à sa voix brillante, ainsi qu’à sa diction et son phrasé exemplaires.


Malheureusement, à la tête d’un Orchestre national des Pays-de-la-Loire aux pupitres pourtant disciplinés, Jacques Lacombe n’apparaît pas de même essence que son plateau vocal, manquant de continuité et de cohésion, faisant trop souvent briller l’orchestration de Poulenc au détriment de la ligne vocale, si primordiale dans cet ouvrage. Le chef québécois tend ainsi à couvrir les voix des chanteurs, les poussant souvent – et inutilement – dans leurs derniers retranchements, ce qui est bien dommage!



Emmanuel Andrieu

 

 

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