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Le Triomphe de Rossini

Strasbourg
Opéra national du Rhin
10/25/2013 -  et 29, 31 octobre, 3, 5 (Strasbourg), 15, 17 (Mulhouse), 28 (Colmar) novembre 2013
Gioacchino Rossini : La Cenerentola
Bogdan Mihai*/Mark Van Arsdale (Don Ramiro), Edwin Crossley-Mercer (Dandini), Umberto Chiummo (Don Magnifico), Maite Beaumont (Angelina), Hendrickje Van Kerckhove (Clorinda), Sophie Pondjiclis (Thisbe), Ugo Guagliardo (Alidoro)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Enrique Mazzola (direction)
Sandrine Anglade (mise en scène), Claude Chestier (décors et costumes), Eric Blosse (lumières), Pascaline Verrier (chorégraphie)


(@ Alain Kaiser)


Soirée de première un peu tendue, avec une ouverture dont les embrayages s’effectuent à la hussarde, un ou deux ensembles chahutés après le lever du rideau, voire une panne technique qui paralyse le décor tournant au milieu du second acte, début de panique heureusement rattrapé avec discrétion. Mais il faut sans doute un rien d’improvisation et d’imprévu pour une bonne représentation de Cenerentola, opéra écrit en moins d’un mois par un Rossini dont la préméditation n’était pas la vertu prédominante. Un livret démarqué sans complexes de deux autres ouvrages dans l’air du temps, une musique jaillissant à toute allure qui fait la part belle à des procédés prévisibles mais toujours à un niveau d’inspiration exceptionnel, et voilà créé, un an à peine après Il Barbiere di Siviglia, un nouveau chef-d’œuvre dont il importe avant tout aujourd’hui de préserver la miraculeuse spontanéité.


Franchise, aisance, naturel, ces vertus très rossiniennes sont aussi celles de la mise en scène de Sandrine Anglade. Grâce à la vitalité d’une direction d’acteurs qui exige beaucoup de mobilité de chacun, sans jamais sembler contraignante, cette Cenerentola enchaîne ses numéros tantôt explosifs tantôt tendres en évitant assez efficacement toute sensation de longueur. On y apprécie surtout une mise en place rigoureuse sous ses apparences de fantaisie, avec des ensembles réglés comme des ballets (belle contribution chorégraphique de Pascaline Verrier), qui fonctionnent en symbiose avec les multiples engrenages malicieux de cette musique diaboliquement précise. Le final du premier acte, moment de folie giratoire où les protagonistes entrecroisent leurs trajectoires dans tous les sens, poussés sur des fauteuils à roulettes par des figurants, est sans doute le moment le plus étourdissant de cette lecture qui s’encombre peu de seconds degrés et qui de ce fait pourrait sembler parfois superficielle...


Peut-être. Mais à quoi bon, dans un ouvrage aussi ludique,  s’embarrasser davantage de circonlocutions et de précautions inutiles ? Les divers articles du programme de salle en abusent pour la plupart bien assez ! Sandrine Anglade préfère construire naturellement ses progressions et affûter ses contrastes, laisser s’épanouir ses personnages en laissant au besoin une certaine liberté à sa belle équipe de chanteurs-acteurs, et c’est suffisant. Que Rossini penche tantôt du côté seria, buffa, semi-seria... importe en définitive fort peu. Ce qui compte ici c’est bien la saveur des chocs des situations, la quasi coexistence des larmes d’une intrigue joliment sentimentale et du comique le plus folingue, tous ces coq-à-l’âne surréalistes, voire un peu répétitifs à long terme, dont cette mise en scène parvient habilement à préserver l’énergie, de même que celles d’un Jean-Pierre Ponnelle naguère.


Un rien vieillotte cette production peut-être, avec ses nombreuses armoires mobiles pivotantes d’un aspect délibérément poussiéreux pour évoquer le logis en piteux état de Don Magnifico, mais guère plus luxueuses quand il s’agit de figurer le palais du prince, comme si les éclairages chaleureux d’Eric Blosse finissaient par aplatir visuellement tout cela en simples coulisses d’un théâtre sans âge. On n’aurait effectivement guère conçu Cenerentola autrement il y a cinquante ans, mais est-il vraiment utile d’innover, si les recettes restent bonnes ? On apprécie en revanche la coupe parfaite et l'originalité des costumes volontiers acidulés de Claude Chestier, clin d’œil pas trop appuyé aux années soixante du siècle dernier, qui donnent à l’ensemble un coup d’éclat supplémentaire. Ici le costume raconte lui-même beaucoup de choses sur le caractère de celui qui le porte, et ce n’est pas une vertu si fréquente à l’opéra.


L’autre artisan majeur de la réussite de cette Cenerentola est certainement Enrique Mazzola, qui parvient à tenir son orchestre et son plateau vocal avec une exactitude rythmique conquise de haute lutte. Direction au cordeau, qui n’hésite pas à se montrer métronomique si nécessaire (c’est aussi l’un des éléments du comique rossinien) et parvient à mener tout le monde à bon port. Quelques décalages au début et puis plus personne ne dévie de trajectoires efficacement balisées. Que l’Orchestre de Mulhouse, doté d’une petite harmonie fiable mais de cordes astringentes, ne soit pas l’instrument le plus confortable du moment ne dérange plus vraiment. Et la musique pétille si joyeusement, que l’on n’éprouve pas non plus l’envie de pointer trop sévèrement tel ou tel défaut vocal d’un plateau bien choisi et homogène. Très convaincant Dandini d’Edwin Crossley-Mercer, capable de débiter imperturbablement son rôle sans rien y escamoter et en conservant toujours une prestance de vrai roublard de comédie, duo hyperactif et drôlatique de sœurs égocentriques formé par Hendrickje Van Kerckhove (Clorinda) et Sophie Pondjiclis, séduisant Don Ramiro du jeune et dégingandé Bogdan Mihai, un peu fluet en volume mais joliment agile et toujours musical, sympathique Alidoro d’Ugo Guagliardo, pas toujours très égal, avec des moments d’atonie difficiles à expliquer, Don Magnifico parfois pataud d’Umberto Chiummo, auquel on peut difficilement reprocher de ne pas toujours faire dans la dentelle, et puis une Angelina un peu inattendue, Maité Beaumont, voix assez ample au beau timbre coloré, mais davantage convaincante en soubrette au grand cœur qu’en princesse que l’ascension sociale pare subitement d’atours sophistiqués de diva belcantiste. De toute façon cet air final, que tout le monde connaît et attend, n’est qu’une pièce rapportée, voire la seule véritable faiblesse dramatique d’un chef-d’œuvre par ailleurs d’une spontanéité intemporelle. Une revigorante et heureuse soirée, et une réussite d’autant plus méritoire pour l’Opéra du Rhin qu’elle succède tout juste à une production de De la maison des morts, on ne peut plus diamétralement opposée... en tout !



Laurent Barthel

 

 

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