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Des Dialogues «réactualisés» Lyon Opéra 10/12/2013 - et 14, 16, 18*, 20, 22, 24, 26 octobre 2013 Francis Poulenc : Dialogues des carmélites
Laurent Alvaro (Le Marquis de la Force), Hélène Guilmette (Blanche de la Force), Sébastien Guèze (Le Chevalier de la Force), Loïc Félix (L’aumônier), Nabil Suliman (Le geôlier), Sylvie Brunet-Grupposo, (Mme de Croissy), Sophie Marin-Degor (Mme Lidoine), Anaïk Morel (Mère Marie de l’Incarnation), Sabine Devieilhe (Sœur Constance), Alexandra Guérinot (Mère Jeanne de l’Enfant-Jésus), Héloïse Mas, (Sœur Mathilde), Sophie Calmel (Mère Gérald), Sylvie Malardenti (Sœur Claire), Sophie Lou (Sœur Antoine), Joanna Curelaru (Sœur Catherine), Marie-Eve Gouin (Sœur Félicité), Pei Min Yu (Sœur Gertrude), Pascale Obrecht (Sœur Alice), Sharona Applebaum (Sœur Valentine), Karine Motyka (Sœur Anne de la Croix), Maki Nakanishi (Sœur Marthe), Marie-Pierre Jury (Sœur Saint Charles), Paolo Stupenengo (Un officier), Rémy Mathieu (Le premier Commissaire), Dominique Beneforti (Le second Commissaire), Kwang Soun Kim (Thierry), Jean-François Gay (Dr Javelinot)
Chœur de l’Opéra de Lyon, Alan Woodbridge (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Kazushi Ono (direction)
Chritophe Honoré (mise en scène), Sébastien Lévy (dramaturgie), Alban Ho Van (décors), Thibault Vancraenenbroeck (costumes), Dominique Bruguière (lumières)
S. Brunet-Grupposo (© Jean-Louis Fernandez)
Après l’Opéra de Toulonen janvier dernier, en même temps qu’Angers Nantes Opéra (compte rendu prochainement en ligne), et avant Paris (au Théâtre des Champs-Elysées, en décembre, dans une mise en scène d’Olivier Py), Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc est à l’affiche de l’Opéra de Lyon. La régie a été confiée au cinéaste français Christophe Honoré (Les Chansons d’amour, Dans Paris, Les Bien-Aimés...), qui signe là sa première production lyrique. Avant de nous rendre à Lyon, nous nous demandions comment le cinéaste – qui dispose d’un monde propre très original – allait décrypter le chef-d’œuvre de Poulenc, opéra pénétré par une ferveur religieuse et qui aborde des sujets graves et difficiles telles que la foi, la peur et la mort.
La première scène – qui montre le Marquis au lit avec une femme dévêtue tandis que ses deux enfants viennent, tour à tour, s’entretenir avec lui comme si de rien n’était (plus les nombreux domestiques qui observent toute la scène!) – ne manque pas de surprendre, voire de choquer. On ne l’a toujours pas comprise... La seconde nous transporte dans une communauté religieuse installée au dernier étage d’un immeuble qui donne sur la place de la République, dont on voit de dos la célèbre statue qui y trône. L’esthétique des décors (signés Alban Ho Van) comme des costumes (conçues par Thibault Vancraenenbroeck) – assez misérabilistes et qui font immédiatement penser à l’univers de Marthaler – nous permettent de situer l’action au tournant des années 1970-1980, ce qui nous rend plus proche la vie, puis le martyre, des religieuses. La scène finale, toujours délicate à illustrer, bénéficie d’un des traitements les plus poignants que nous ayons vus pour cet ouvrage: nulle guillotine ici, mais des carmélites qui sont jetées dans le vide depuis le balcon de leur couvent par des révolutionnaires fanatisés – sans qu’on sache exactement à quelle révolution ils renvoient (ils arborent des brassards aux couleurs de la République...). Beaucoup de mystère donc, des partis pris souvent énigmatiques, mais on ne pourra dénier à Honoré un rare talent de directeur d’acteurs, qui nous vaut des scènes très fortes, comme celle où le Chevalier et Blanche se font leurs adieux, les doigts qui se cherchent puis se rejoignent, par-dessus un grillage qui les sépare.
La distribution vocale s’avère enthousiasmante, à commencer par la jeune Hélène Guilmette (éblouissante Sœur Constance à Nice en 2010), qui, dans le rôle de Blanche de la Force, convainc par un chant d’une parfaite musicalité et un jeu habité. D’une présence faite autant de délicatesse que de ténacité, la soprano québécoise délivre une émotion et une force intérieure rares. En Sœur Constance, la non moins touchante Sabine Devieilhe possède les mêmes qualités, avec cependant un timbre plus charnu, un medium plus étoffé, et des couleurs bien à elle.
Mme de Croissy est tenu par la splendide mezzo française Sylvie Brunet-Grupposo, qui renouvelle l’émerveillement qu’elle avait suscité à Saint-Etienne en 2005, puis à Toulouse en 2009: son engagement scénique, en grande tragédienne qu’elle est, impressionne toujours autant, surtout dans la scène de l’agonie, un des moments les plus poignants de la soirée. Pour ce qui est de la voix, la générosité du timbre, l’ampleur des moyens, et un français parfaitement articulé, concourent à rendre son chant souverain. Après avoir incarné Blanche à de nombreuses reprises (également à Saint-Etienne et à Toulouse, au côté de Sylvie Brunet-Grupposo), Sophie Marin-Degor interprète la Nouvelle Prieure (Madame Lidoine) avec beaucoup de naturel et de douceur, mais aussi d’autorité. On regrettera néanmoins chez l’artiste certaines duretés dans l’émission, ainsi qu’une diction gâtée par un vibrato qui commence à se faire envahissant.
Loin des mezzos en fin de carrière auxquelles on donne souvent le rôle, c’est avec toute l’impétuosité de sa jeunesse qu’Anaïk Morel endosse les habits de Mère Marie. Rendant parfaitement la fierté et la rigidité du personnage, elle trouve là un emploi parfaitement adapté à ses moyens. Quant à Alexandra Guérinot (Mère Jeanne) et Héloïse Mas (Sœur Mathilde), elles s’acquittent fort honorablement de leurs courtes interventions.
Côté masculin, le jeune et fougueux ténor lyonnais Sébastien Guèze (Chevalier de la Force) dispose d’un très beau matériau, qui allie la fermeté du timbre à l’élégance du style; ses dons d’acteur s’avèrent par ailleurs saisissants au moment des adieux avec sa sœur. En Marquis de la Force, Laurent Alvaro (déjà présent à Toulon) fait forte impression et confère à son personnage, avec une voix sonore, toute la morgue qui sied à ce grand aristocrate. Enfin, Loïc Félix compose un Aumônier percutant, tandis que Nabil Suliman fait preuve de la rudesse requise par le rôle du Geôlier.
La direction du chef japonais Kazushi Ono n’est pas le moindre des bonheurs du spectacle. Sa battue fait preuve de souplesse et de limpidité, voire de sensualité, ce qui ne l’empêche pas, quand la partition l’exige, d’insuffler une vraie tension dramatique et une inexorable théâtralité, sans jamais couvrir les voix. S’il prend parfois quelques libertés avec les tempi, c’est pour mieux susciter l’émotion, et souligner à quel point cette musique est, avant tout, pétrie de spiritualité.
Emmanuel Andrieu
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