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Jubilatoire Nancy Opéra 10/04/2013 - et 6, 8, 10, 12* octobre 2013 Giacomo Puccini : Turandot
Katrin Kapplusch (Turandot), Rudy Park (Calaf), Karah Son (Liù), Miklós Sebestyén (Timur), Chang Han Lim (Ping), François Piolino (Pang), Avi Klemberg (Pong), John Pierce (Altoum), Florian Cafiero (Un mandarin, Le jeune prince de Perse)
Chœur de l’Opéra national de Lorraine, Merion Powell (chef de chœur), Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, Nathalie Marmeuse (chef de chœur), Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, Rani Calderon (direction)
Yannis Kokkos (mise en scène, décors et costumes), Patrice Trottier (lumières), Anne Blancard (dramaturgie), Natalie Van Parys (chorégraphie)
K. Kapplusch, R. Park (© Opéra national de Lorraine)
C’est un fort coup qu’a frappé l’Opéra national de Lorraine pour son début de saison, avec une production de Turandot qui restera dans les mémoires, grâce à un chef, une distribution vocale et une mise en scène dignes de tous les éloges.
Si Turandot baigne inévitablement dans l’exotisme, le célèbre metteur en scène grec Yannis Kokkos évite cependant un Chinatown de pacotille et propose une régie placée sous le signe de l’épure et de la stylisation, qui obéit aux lois de la rigueur et de l’équilibre. Un décor – tout en rouge et noir – sobrement et simplement constitué d’une passerelle et d’une colonne centrale surmonté d’un gong-miroir, et des costumes aux couleurs éclatantes, suffisent pour donner à cette mise en image toutes sa force et sa saveur orientale. Bien croqué, le trio de ministres vient apporter une touche de fantaisie, notamment au début du II, où ils évoquent, chacun à leur tour – et dans des effluves d’opium –, leur demeure à la campagne.
Le régal des yeux était aussi celui des oreilles, fosse et plateau se montrant pleinement à la hauteur de cette très esthétisante production. Trois maîtres à bord pour signer cette réussite musicale: les deux directrices des chœurs conjugués des opéras de Nancy et Metz, Nathalie Marmeuse et Merion Powel, et le chef Rani Calderon – qui a galvanisé comme jamais l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy. Certes, ses tutti paraissent souvent tonitruants, mais le jeune maestro israélien privilégie, dans le reste de la partition, un phrasé orchestral d’une clarté et d’une transparence exemplaires, avec un remarquable sens du détail, et ces abandons sensuels si typiques de l’écriture puccinienne.
Dans le rôle de la princesse vierge, la soprano allemande Katrin Kapplusch fait valoir une voix sanguinaire, jusqu’aux limites de la stridence, qui assure à Turandot l’autorité glaciale exigée par le rôle; la voix se projette ainsi, saine et généreuse, jusqu’au contre-ut, sans le moindre effort apparent. Révélation de la soirée, le ténor coréen Rudy Park incarne un incroyable Calaf, grâce à une voix de stentor, surpuissante dans l’aigu et sonore dans le grave, qui sait aussi se plier à d’infinies nuances; la couleur du timbre, barytonale, fait immédiatement penser à celle de Vladimir Galouzine, auquel il n’a rien à envier non plus en termes d’ampleur vocale et de crédibilité physique: il récolte un impressionnant triomphe personnel au moment des saluts.
La belle Karah Son dessine une Liù très fragile, mais avec un timbre plus corsé que ce que l’on entend habituellement dans le rôle. La soprano coréenne séduit par la rondeur de l’accent et par la sensibilité de la palette de couleurs, et finit de convaincre par une musicalité sans faille et un subtil jeu de clairs-obscurs. Le baryton hongrois Miklós Sebestyén incarne toute la noblesse et la souffrance du roi tartare en exil, aux côtés de l’Altoum du ténor gallois John Pierce qui, avec une voix claire et saine, nous évite la traditionnelle caricature du vieil empereur à l’instrument fatigué. Enfin, un efficace autant que cocasse trio de ministres – Chang Han Lim, François Piolino et Avi Klemberg – complètent cette excellente distribution.
Un vent de folie a parcouru la salle après le rideau final.
Emmanuel Andrieu
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