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Les Vêpres siciliennes réhabilitées

Frankfurt
Opernhaus
06/16/2013 -  et 19, 22, 27, 30 juin, 3, 6 juillet, 7, 13, 22 septembre, 4*, 11 octobre 2013
Giuseppe Verdi : Les Vêpres siciliennes

Elza van den Heever/Lianna Haroutounian* (Hélène), Alfred Kim/Burkhard Fritz* (Henri), Quinn Kelsey (Guy de Montfort), Raymond Aceto/Kihwan Sim* (Jean Procida), Bálint Szabó/Franz Mayer* (Sire de Béthune), Jonathan Beyer/Björn Bürger* (Comte de Vaudémont), Nina Tarandek (Ninetta), Hans-Jürgen Lazar (Danieli), Michael McCown (Mainfroid), Simon Bode/Michael Porter* (Thibault), Iurii Samoilov (Robert)
Chor der Oper Frankfurt, Matthias Köhler (chef des chœurs), Frankfurter Opern- und Museumsorchester, Giuliano Carella (direction)
Jens-Daniel Herzog (mise en scène), Mathis Neidhardt (décors & costumes), Olaf Winter (lumières)


(© Thilo Beu)


Créées à Paris en 1855, jouées de nombreuses fois jusqu’en 1864, Les Vêpres siciliennes – dans leur version originale française donc – ont dû attendre près de 150 ans pour retrouver les honneurs de l’affiche à Paris, à l’Opéra Bastille en 2001, dans une production malheureusement ratée (signée par Andrei Serban). Il y a deux ans, nous avons pu voir une autre production à Genève, conçue cette fois par Christof Loy, mais tout aussi décevante, dans toutes ses composantes. C’est donc avec fébrilité que nous nous rendions à Francfort, et si nous n’avons pas été plus convaincu par la proposition scénique de Jens-Daniel Herzog, au moins avons nous enfin pu entendre une distribution de premier ordre et, surtout, une direction musicale enthousiasmante, qui valaient amplement le déplacement.


Les Vêpres siciliennes, d’après un livret (un rien alambiqué) d’Eugène Scribe, s’inscrit dans la lignée du grand opéra français: cinq actes, alternance de grandes fresques collectives et de tableaux intimistes et, bien sûr, l’inévitable ballet (ici supprimé). L’intrigue s’inspire de la révolte du peuple sicilien au XIIIe siècle contre l’occupant français, soulèvement qui s’acheva par un carnage. Sur la grande histoire collective viennent se greffer les conflits moraux des deux principaux protagonistes (Hélène et Henri), en proie à la thématique cornélienne du devoir et de l’amour, ainsi que le fanatisme politique (Procida), et l’arbitraire du pouvoir (Montfort). La première fut triomphale, Berlioz évoqua la «majesté souveraine de la musique», et le livret fut aussitôt traduit en italien, de sorte que l’ouvrage fut représenté six mois après sa création parisienne au Teatro Regio de Parme.


Comme nous le disions en préambule, la proposition scénique de l’intendant de l’Opéra de Dortmund, qui a transposé l’action dans les très contestataires années 1970, nous a déçu. Elle commence pourtant bien, avec une scène d’une intense force dramatique: avant que ne résonnent les premiers accords, on assiste, au pied d’un immeuble sinistre, à l’assassinat (par balle, tirée à bout portant) d’un homme, qui n’est autre que le frère d’Hélène. Pendant toute l’Ouverture, un ballet incessant de Siciliens endeuillés vient déposer des gerbes de fleurs, ou se recueillir, une bougie à la main, devant une plaque apposée à l’endroit même de l’assassinat. Mais ensuite les choses se gâtent, notamment à cause d’une direction d’acteurs aussi sommaire que chaotique, et de nombreuses libertés prises avec le livret. Ainsi au III, on voit Henri menacer son père avec une arme avant de la retourner contre Procida – alors qu’il est au contraire censé s’interposer entre lui et Hélène, lorsque celle-ci cherche à lui porter un coup fatal – et dans la scène finale, en lieu et place du massacre de tous les occupants français, seuls Henri et Montfort (mais aussi Hélène!) sont exécutés, d’une balle dans la nuque, sur un fond de trois misérables fumigènes: l’impact dramatique et visuel escomptés tombe complètement à plat. Sans prétendre recréer les fastes de la première parisienne, le grand opéra exige un apparat, un sens de la fête et du spectacle, complètement absents ici.


Par bonheur, le plaisir que procure la distribution vocale réunie ce soir (différente, pour les premiers rôles – hormis le baryton –, des premières représentations de juin) compense largement les errements de la mise en scène. Accourue de Londres le matin même pour sauver la représentation suite au forfait de la sud-africaine Elza van den Heever, Lianna Haroutounian endosse les habits d’Hélène. La soprano arménienne – qui nous avait ébloui dans le rôle d’Amelia d’Un bal masqué à Tours la saison dernière – trouve toute l’assise requise, avec sa voix ample et souple à la fois, dans cette écriture hybride, rattachée à la fois à une certaine tradition belcantiste (l’air d’entrée), aux cantilènes de Donizetti («Ami, le cœur d’Hélène») et aux vocalises de Meyerbeer (le célèbre «Merci, chères amies»). Une émission très sûre lui permet d’épouser sans difficulté un registre grave d’une belle couleur, un médium d’une rare ampleur, et des aigus flamboyants et triomphaux. Au V, elle se joue de toutes les difficultés du Boléro, exécuté avec un parfait aplomb.


Le baryton hawaïen Quinn Kelsey incarne un Montfort superbement nuancé, au magnifique legato, jouant des couleurs de sa voix dans l’air «Au sein de la puissance» (le plus beau de la partition), au début de l’acte III, ainsi que dans le duo avec Henri qui suit. Le Heldentenor allemand Burkhard Fritz n’est pas en reste, et a gratifié l’auditoire de sa voix insolente, de son timbre clair, et de son chant ardent, couronnant le superbe air «La brise souffle au loin» d’un contre- aérien. Plus en retrait, tant scéniquement que vocalement, la basse Kihwan Sim, malgré un registre grave impressionnant, n’intéresse guère dans le rôle de Procida. Le Coréen campe son personnage plus en conspirateur acharné qu’en patriote enflammé, et délivre son grand air du II «O toi Palerme» sans véritable noblesse, ni autorité. Les rôles secondaires sont plutôt bien tenus, tandis que le Chœur de l’Opéra de Francfort, magnifique d’intensité et d’engagement (mais à la diction perfectible), s’avère un des atouts-maîtres de la soirée.


Son plus grand atout reste toutefois la direction superlative du chef italien Giuliano Carella – directeur musical de l’Opéra de Toulon – auquel l’orchestre «maison» semble obéir les yeux fermés. Il offre une lecture fiévreuse et nerveuse de la partition, tout en faisant ressortir la complexité d’une écriture qui annonce déjà le Verdi de la maturité. Jamais le génie de Busseto n’a par ailleurs réuni dans une même œuvre tant de composantes contradictoires; maestro Carella les a maîtrisées souverainement.




Emmanuel Andrieu

 

 

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