Back
Un cru exceptionnel Montreux Auditorium Stravinski 09/07/2013 - Ludwig van Beethoven : Les Créatures de Prométhée, opus 43: Ouverture – Concerto pour piano et orchestre n° 1 en do majeur, opus 15
Béla Bartók : Le Château de Barbe-Bleue Sz. 48, opus 11
Martha Argerich (piano), Andrea Meláth (mezzo-soprano), Balint Szabo (basse)
Royal Philharmonic Orchestra, Charles Dutoit (direction) (© Yunus Durukan)
Le cru 2013 du Septembre musical de Montreux-Vevey est exceptionnel, un des plus intéressants et des plus excitants de ces dernières années. Grâce notamment aux trois magnifiques concerts que vient de donner un Royal Philharmonic Orchestra des grands soirs (on relèvera surtout la prestation des souffleurs), sous la baguette d’un Charles Dutoit au sommet de son art. Et pourtant, le célèbre festival revient de loin. En 2002 en effet, il a failli disparaître de la carte. «S’il a survécu, c’est un miracle» n’a pas peur d’affirmer son directeur, Tobias Richter. Appelé à la barre de la manifestation, celui qui a entretemps aussi pris les rênes du Grand Théâtre de Genève a réussi à redresser la situation et à redonner au festival une vitesse de croisière respectable. Mais, comme partout, la crise financière frappe en 2008, contraignant le directeur à réduire la voilure, notamment en supprimant l’opéra régulièrement à l’affiche. Aujourd’hui, la manifestation s’est recentrée sur les grandes œuvres symphoniques du XIXe siècle et du début du XXe siècle à Montreux, ainsi que sur des récitals et des concerts de musique de chambre à Vevey. Vaille que vaille, le Septembre musical reste néanmoins une des plus grandes manifestations de l’été musical helvétique.
On l’a dit, l’édition 2013 est à inscrire dans les annales. Après le concert d’ouverture donné par l’Orchestre de la Suisse Romande sous la baguette de Neeme Järvi, avec en soliste la pianiste Elisabeth Leonskaja, le Royal Philharmonic Orchestra et son chef Charles Dutoit ont offert trois soirées mémorables. Il s’agit de la quatrième résidence de la formation britannique à Montreux, laquelle propose chaque année des programmes exclusifs, avec des solistes prestigieux. Le premier concert a notamment été marqué par un Sacre du Printemps admirable de souffle et de tension dramatique. Le troisième par une Symphonie espagnole de Lalo avec un Renaud Capuçon exagérément démonstratif dans ses accents mais à la virtuosité impressionnante, et surtout par un Boléro qui a fait chavirer le public. Mais c’est véritablement le deuxième concert qui aura le plus marqué les esprits.
Grâce tout d’abord à la présence de Martha Argerich, une artiste qui a désormais le statut de légende. Elle forme avec Charles Dutoit un couple artistique qui dure, leur premier concert commun remontant à 1959. On les sent tous les deux très complices, en osmose. Après quelques imprécisions initiales dues à une certaine nervosité, la pianiste s’est lancée dans une interprétation très intériorisée du Premier Concerto de Beethoven, donnant une intensité remarquable à son interprétation. Chez elle, la virtuosité ne prend jamais le pas sur l’émotion, et c’est ce qui est le plus remarquable, à moins que ce ne soit son dialogue permanent avec l’orchestre.
La seconde partie de la soirée aura permis d’entendre une rareté, Le Château de Barbe-Bleue de Bartók. Unique opéra du compositeur, l’œuvre est achevée en 1911, dans le cadre d’un concours destiné à promouvoir la langue hongroise à l’opéra, mais le jury rejette la partition, estimant qu’elle est impossible à jouer. Puis ce sera au tour de l’Opéra de Budapest de la refuser. L’ouvrage ne verra le jour qu’en 1918. La musique, parsemée de thèmes populaires hongrois, est des plus expressives et évocatrices, chacune des portes du château étant par exemple clairement dessinée par un ensemble d’instruments. La partition rend à merveille l’atmosphère triste et lugubre de la bâtisse endormie. Charles Dutoit a l’art de faire progresser la tension dramatique jusqu’au cataclysme final, même s’il a parfois tendance à couvrir les deux solistes. Avec sa voix ample aux couleurs enivrantes, Andrea Meláth incarne une Judith séductrice et ensorceleuse, malgré un timbre quelque peu métallique, alors que le Barbe-Bleue de Balint Szabo, aux graves pourtant percutants, paraît plus terne et monolithique. Dommage simplement que l’Auditorium Stravinski ne soit pas équipé d’un système de surtitrage ou que le livret n’ait pas été inséré dans le programme. Quoi qu’il en soit, la barre est placée très haut pour l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg et Yuri Temirkanov, qui doivent clore l’édition 2013 du Septembre musical.
Le site du Septembre musical
Claudio Poloni
|