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Chaleur verdienne Macerata Arena Sferisterio 07/19/2013 - et 26 juillet, 2, 4, 9* août 2013 Giuseppe Verdi : Nabucco Alberto Mastromarino (Nabucco), Virginia Tola (Abigaille), Giorgio Giuseppini (Zaccaria), Valter Borin (Ismaele), Gabriella Sborgi (Fenena), Francesco Facini (Il Gran Sacerdote), Enrico Cossutta (Abdallo)
Coro Lirico Marchigiano “V. Bellini”, Orchestra Filarmonica Marchigiana, Antonello Allemandi (direction)
Gabriele Vacis (mise en scène), Roberto Taraschi (scénographie, costumes, lumières)
(© Trabocchini)
Perchée sur une haute colline, comme la plupart des autres agglomérations de la région agricole et balnéaire des Marches, en Italie centrale, Macerata est une bourgade historique étouffée de façon peu heureuse aujourd’hui par un étau d’urbanisme moderne. La ville ancienne conserve cependant un certain cachet, avec ses façades aux couleurs chaudes et ses rues raides. On la parcourt en prenant son temps, de même que l’on reste patient sur les routes de la région, invariablement sinueuses, reliant en étoile un réseau dispersé de petites villes qui se ressemblent toutes un peu mais où il fait bon flâner.
L’une des principales particularités de Macerata, est évidemment son Teatro Sferisterio. Construit en 1823, ce stade à ciel ouvert a été initialement conçu pour héberger le pallone col bracciale, une sorte de pelote basque largement pratiquée en Italie jusque dans les années 1920. En dépit de ces anciens aspects sportifs, l’édifice affiche aujourd’hui une rigueur très aristocratique. Avec son élégante colonnade allongée sur trois côtés et en vis-à-vis le mur nu qui sert de fond de scène, il peut accueillir 2 800 spectateurs grâce à un important étalement en largeur. Le ciel italien, en général clément à cette époque de l’année, la canicule de la journée restituée lentement par les pierres (on y a parfois très chaud, même le soir quand les rues alentour rafraîchissent), l’élégante colonnade magnifiquement éclairée... l’endroit vaut le détour, d’autant plus que l’acoustique n’y a rien de frustrant. Les bruits de la ville, pourtant à quelques mètres, restent très discrets, et autant les voix que l’orchestre passent bien. Avec toujours ce creusement particulier du son propre au plein air mais qui n’empêche pas une véritable lisibilité des détails. Par rapport à l’autre grand lieu à ciel ouvert italien, les Arènes de Vérone, le confort sonore paraît significativement supérieur. Ou du moins il n’y a pas besoin d’attendre ici cette curieuse réaction chimique de l’air qui fait qu’à Vérone l’acoustique peut devenir magique, mais sur le tard seulement.
Macerata dispose probablement de moins de moyens matériels que sa rivale de Vénétie, et la crise économique n’arrange évidemment rien, mais la programmation y reste d’une très bonne qualité moyenne, même en l’absence de grands noms sur les affiches. Le répertoire n’affiche aucune originalité, du moins en ce qui concerne les grandes productions en plein air (Le Trouvère et Nabucco cette année, Aïda, Traviata et Tosca l’été prochain...), dans un lieu dont les dimensions n’autorisent de toute façon pas trop les excursions hors des sentiers battus. Quant à l’Orchestra Filarmonica Marchigiana, basé à Ancône, capitale de la province, il nous a paru d’un niveau acceptable, comparable à celui qui fait les beaux soirs des Arènes de Vérone, l’impression d’ensemble comptant davantage que tel ou tel détail.
Ce que l’on goûte ici, particulièrement, c’est l'engagement avec lequel on chante Verdi, comme un patrimoine national investi affectivement. Quand le Coro Lirico Marchigiano “V. Bellini” entonne enfin le célèbre Va pensiero, avec un enthousiasme fervent, on sent tout à coup les respirations du public comme suspendues, de même qu'à l'issue de certains airs phrasés avec une élégance particulière. Ici la distribution doit payer comptant, et même si l’auditoire n’est pas agressif (l’Ismaele inégal de Walter Borin, tantôt brillant tantôt poussif, est peu acclamé mais n’essuie que des réactions de mauvaise humeur assez discrètes) on le sent friand de voix susceptibles de le faire véritablement vibrer. Sur ce plan la soirée est plutôt riche, à commencer par l’exceptionnelle Abigaille de Virginia Tola, remarquable d’agilité et de puissance sur toute la tessiture, et puis aussi d’un tour de taille assez nettement inférieur à ce qu’on a l’habitude de voir dans ce rôle, apanage en général de forts gabarits. Alberto Mastromarino est un Nabucco d’une certaine prestance, au timbre moyennement séduisant au début, assez tristement gris et peu stable, mais qui parvient ensuite à construire son personnage avec beaucoup de sensibilité musicale. Un peu émacié aussi par le plein air, le Zaccaria de Giorgio Giuseppini parvient quand même à garder des graves suffisamment substantiels, et la Fenena de Gabriela Sborgi parvient à donner beaucoup d’ampleur à son rôle, toujours un peu sacrifié.
Assez décousue, la scénographie semble frappée de plein fouet par la crise : plateau nu devant un mur nu, très peu d’accessoires... Mais finalement ce dépouillement, intentionnel ou forcé, se révèle fertile. L’idée de centrer Nabucco sur un conflit portant sur le contrôle d’un liquide précieux au Moyen-Orient (le pétrole ? Non, l’eau !), peut se discuter. Mais elle fournit un prétexte intéressant à un décor entièrement composé de bouteilles. Au premier tableau une maquette de Jérusalem construite à partir de packs de bouteilles en plastique (il faut y circuler précautionneusement, en prenant garde de ne rien écraser... ce n’est guère pratique), et ensuite, à Babylone, des murs translucides de bonbonnes empilées qui ont beaucoup d’allure quand ils sont traversés par les éclairages. La largeur exceptionnelle du plateau impose de courir fréquemment, pour s’immobiliser ensuite et ne plus guère bouger (la direction d’acteurs reste sommaire, mais ni l’athlétisme du chant verdien ni les dimensions du lieu n’incitent à davantage de subtilité). Et la lisibilité de la transposition de l’action dans le temps laisse à désirer (juifs d’hier et d’aujourd’hui, palestiniens, babyloniens, Gantanamo, Saddam Hussein peut-être... ni les époques ni les antagonismes ne sont clairement exposés par les costumes et la figuration, et encore moins par de malhabiles projections video). La production paraît souvent tiraillée entre ses ambitions de relecture et un certain cafouillage quant à ses possibilités de réalisation pratique. Mais rien de médiocre cependant, la majesté du lieu et la magie de l’ambiance hissant sans peine la soirée à un appréciable niveau de ferveur collective, moments d’une intensité particulière, que l’on n’oublie pas.
Le site du festival
Laurent Barthel
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