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Saint-Céré

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Le blanc, le rouge et le noir

Saint-Céré
Prudhomat (Château de Castelnau)
08/06/2013 -  et 8, 10, 13*, 15 août (Saint-Céré), 5 (Saint-Louis), 12, 13 (Perpignan) octobre, 17, 18 décembre (Grenoble) 2013, 18 février (Cognac), 5, 7, 9 (Massy), 14 (Le Chesnay), 20 (Cahors), 21 (Figeac) mars, 23 mai (Andrésy) 2014
Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, K. 527 et K. 540c
Christophe Gay (Don Giovanni), Xiaohan Zhai (Leporello), Marlène Assayag (Donna Anna), David Ghilardi (Don Ottavio), Carol García (Donna Elvira), Marion Tassou (Zerlina), Julien Fanthou (Masetto), Jean-Loup Pagésy (Il commendatore)
Chœur et Orchestre Opéra éclaté, Dominique Trottein (direction musicale)
Eric Perez (mise en scène), Patrice Gouron (décors, costumes)


C. Gay, X. Zhai (© Nelly Blaya)


La réussite du cocktail saint-céréen de spectacles lyriques tient à un subtil dosage entre œuvres «grand public», répertoire «léger» et choix audacieux: les trois nouvelles productions de l’année prochaine resteront fidèles à cette recette – Paillasse de Leoncavallo, The Cradle Will Rock de Blitzstein et Arlequin de Busoni – qui est aussi celle de l’édition 2013, avec les reprises d’Un train pour Johannesburg et de La Belle de Cadix ainsi qu’une nouvelle production de Don Giovanni (1787). De même que pour La Flûte enchantée en 2009, la mise en scène en a été confiée à Eric Perez et la distribution revendique sa jeunesse – trente ans en moyenne.


Autant La Flûte était fondée sur le bariolage, symbole de fraternité dans la diversité, autant ce Don Giovanni oppose frontalement trois couleurs. D’abord, le blanc de la quasi-totalité des costumes conçus par Patrice Gouron, mêlant références de la fin du XVIIIe et de notre temps. Ensuite, le rouge associé au sang, sous la forme d’un immense voilage qui marque la mort du commandeur, puis, à son retour, accompagne la fin du libertin, mais qui est aussi décliné à l’infini dans les innombrables vêtements qui garnissent les trois niveaux de l’immense penderie dominant le fond de la scène, inventaire tangible des conquêtes féminines – l’air du catalogue le montre sans ambiguïté. Enfin, le noir qui s’impose progressivement dans les dernières scènes – rideau tendu à l’arrière et, surtout, immense nappe noire recouvrant la table du festin, élément de mobilier d’autant plus incongru dans une scénographie jusqu’alors limitée à trois escabeaux roulants et à de rares accessoires qu’il est complété par deux chandeliers et une abondance de plats, d’assiettes, carafes, verres et mets divers. Et c’est couverts d’un voile noir – hormis Leporello – que les protagonistes du sextuor final apparaissent, immobiles face au public... et à Don Giovanni, qui s’est assis comme au théâtre pour devenir le spectateur visiblement goguenard de ce dénouement moral(isateur).


Dans sa fougueuse note d’intention, le metteur en scène promet un «spectacle cru, charnel, sans concession». Ce n’est cependant sans doute pas une fin en soi – et c’est aussi bien ainsi – car on a vu de par le monde des Don Giovanni plus scandaleux ou subversifs. Il en ressort principalement un héros cynique, souple, animal, insolent, voyou jouant du couteau et assumant ses turpitudes, qui, avant tout, possède cette jeunesse faisant défaut à tant de représentations du personnage. Mais la direction d’acteurs, si soignée soit-elle et quels que soient les talents de comédiens de la plupart des chanteurs, ne parvient pas toujours à remplir le vide – ainsi dans la fête du premier acte, qui manque décidément d’invités – et, comme tant d’autres, ne sait que faire d’Ottavio, qui demeure désespérément falot. Le minimalisme du décor de Patrice Gouron, qui, bien que dépourvu de portes, fenêtres, murs ou balcons, n’en permet pas moins d’évoquer les principaux lieux de l’action, fonctionnerait toutefois peut-être mieux dans un théâtre clos – on pense par exemple, pour s’en tenir à Saint-Céré, à l’Usine – qu’en plein air dans les vastes volumes de la cour du château de Castelnau-Bretenoux.


Le programme indique que c’est la «version de Prague» qui a été choisie: néanmoins, si l’air d’Ottavio au second acte («Il mio tesoro») est effectivement omis, l’air d’Elvira «Mi tradì» est maintenu, mais avancé au premier acte, immédiatement après l’air du catalogue, de même que celui d’Ottavio («Dalla sua pace») est déplacé pour intervenir dans la continuité de la première scène. Les récitatifs sont remplacés par des dialogues en français – l’affiche annonce d’ailleurs «Don Juan» et non «Don Giovanni» – qui s’en inspirent, tout en les modernisant et en y ajoutant quelques touches venant expliciter le propos du metteur en scène (comme la proclamation de Don Giovanni avant le finale du second acte), mais que les chanteurs non francophones peinent parfois à maîtriser. Dans ces conditions, la soirée dure moins de deux heures et demie (hors entracte), avec un second acte significativement plus court que le premier. Des aménagements, habituels à Saint-Céré, ont en outre été apportés à l’instrumentation: hautbois, basson et trombone réduits à un exécutant, pas de trompettes ni de mandoline. Compte tenu de cet effectif orchestral restreint, les trois petits ensembles de la fête du premier acte ne jouent pas sur scène, mais restent au sein de l’orchestre, lequel, au demeurant, est placé en léger contrebas du plateau, côté jardin. Quant aux rares interventions du chœur, elles sont assurées depuis les coulisses, à une voix par partie.


On n’entend pas que de jolies choses dans l’orchestre, mais à sa tête, Dominique Trottein se fait volontiers vif et dramatique, sans précipiter pour autant les choses et en laissant aussi le temps, quant il le faut, à la musique de s’exprimer. Les jeunes chanteurs réunis pour l’occasion offrent globalement une belle prestation, à commencer par Christophe Gay (né en 1977): aussi bondissant qu’en Papageno voici quatre ans, c’est un Don Giovanni très à l’aise sur scène, chantant avec une justesse irréprochable, une parfaite clarté d’émission et une grande finesse –beau mezza voce dans la sérénade du second acte («Deh, vieni»). Le Leporello de Xiaohan Zhai (né en 1986) est excellent, exact dans sa diction et son intonation, mais manque encore un peu de coffre, comme le Masetto de Julien Fanthou. Ce n’est pas le reproche qu’on pourra adresser à Jean-Loup Pagésy (né en 1974), Commandeur malheureusement en légère méforme au lendemain de son succès dans Un train pour Johannesbourg. Très appliqué, David Ghilardi manque de projection et a du mal à exister en Ottavio, mais il a l’aigu facile et sa musicalité est indéniable. Les voix féminines ont davantage de corps, notamment Carol García (née en 1983), qui ne rate pas sa prise de rôle en Elvira: la richesse du timbre et la puissance de l’incarnation compensent quelques imprécisions. Plus orthodoxe, Marlène Assayag (née en 1984) le lui cède à peine en Anna et si le haut du registre paraît quelquefois un peu voilé, elle se tire remarquablement du redoutable «Non mi dir». Marion Tassou (née en 1984) ne semble pas aussi miraculeuse qu’en Pamina quatre ans plus tôt, mais n’en est pas moins une Zerlina d’un grand raffinement.


Très nombreuse – il a fallu placer quelques personnes sur les marches des gradins – l’assistance manifeste une satisfaction sans réserves: il suffit de songer au tumulte qui accueille ailleurs certaines productions bien moins audacieuses pour mesurer la qualité et la profondeur du travail accompli par Olivier Desbordes depuis plus de trente ans à Saint-Céré.


Le site de Marlène Assayag
Le site de Jean-Loup Pagésy



Simon Corley

 

 

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