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Rienzi enflamme Salzbourg Salzburg Felsenreitschule 08/11/2013 - et 14 août 2013 Richard Wagner : Rienzi, der letzte der Tribunen Christopher Ventris (Cola Rienzi), Emily Magee (Irene), Georg Zeppenfeld (Steffano Colonna), Sophie Koch (Adriano), Martin Gantner (Paolo Orsini), Robert Bork (Kardinal Orvieto), Benjamin Bernheim (Baroncelli), Oliver Zwarg (Cecco del Vecchio), Kiandra Howarth (Der Friedensbote)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Jörn Hinnerk Andresen (préparation), Gustav Mahler Jugendorchester, Philippe Jordan (direction musicale)
C. Ventris, E. Magee, S. Koch, P. Jordan (© Silvia Lelli)
Arrivé à Salzbourg l’année dernière en provenance de Zurich pour prendre les rênes du célèbre festival, Alexander Pereira avait d’emblée frappé fort, notamment en allongeant la durée de la manifestation et en bannissant les reprises. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts... Au printemps, le conseil de surveillance du festival décidait de ne pas prolonger son mandat (qui devait expirer en 2016) pour cause de profond désaccord sur le budget de l’édition 2013, un budget qui a explosé en raison du faste voulu par le nouveau patron pour le bicentenaire Wagner/Verdi. Les membres du conseil n’ont pas non plus apprécié qu’à peine installé à Salzbourg, Alexander Pereira se porte candidat à la succession de Stéphane Lissner à Milan. Bref, il y avait de l’eau dans le gaz, pour formuler les choses de façon triviale, et on se demande comment le directeur aurait pu travailler sereinement jusqu’en 2016 avec un conseil hostile. Coup de théâtre il y a deux mois, même si la nouvelle n’a surpris personne : Alexander Pereira a été nommé directeur de la Scala à compter de septembre 2015. Son mandat à Salzbourg se terminera finalement au terme de l’édition 2014 du festival. Contrairement à Zurich, où il a connu un règne flamboyant de vingt ans, il ne laissera guère de traces dans la ville de Mozart, comme d’ailleurs la plupart de ses prédécesseurs récents, mis à part peut-être Gerard Mortier. Etre directeur à Salzbourg n’est pas une sinécure...
L’édition 2013 du festival est à mi-parcours, mais le premier bilan artistique est plutôt mitigé. Le cru lyrique est certes foisonnant (sept opéras en version scénique, quatre sous forme concertante et un ouvrage pour les enfants), or jusqu’ici les échos sont plutôt réservés. La critique n’a été enthousiasmée ni par Falstaff ni par Les Maîtres Chanteurs, et elle n’a que modérément apprécié Gawain, l’ouvrage de Harrison Birtwistle aux commandes duquel on retrouve pourtant le duo Ingo Metzmacher/Alvis Hermanis, qui avait sublimé Les Soldats en 2012. D’une manière générale, on reproche à Alexander Pereira une affiche prudente et conservatrice, certes consensuelle et truffée de stars, mais sans prise de risque. On attend encore Don Carlo, annoncé comme la production-phare de l’été. Paradoxalement, ce sont jusqu’à présent deux opéras en version de concert qui ont créé l’événement: d’abord Giovanna d’Arco de Verdi, avec en tête de distribution Anna Netrebko, la star incontestée du festival, et Plácido Domingo en baryton, de retour sur scène, à 72 ans, un mois seulement après avoir été hospitalisé pour une embolie pulmonaire, un véritable exploit. Et ensuite Rienzi de Richard Wagner, une autre rareté.
Bicentenaire Wagner oblige, Salzbourg a dérogé cette année à la règle – tacite – qui veut qu’aucun opéra du compositeur allemand n’y soit présenté, pour ne pas faire de l’ombre à Bayreuth. Outre Les Maîtres Chanteurs, le festival a ainsi eu l’heureuse idée de programmer Rienzi, un ouvrage banni du Festspielhaus, le compositeur lui-même l’ayant qualifié d’« erreur de jeunesse » et de « braillard ». Rienzi, créé en 1842 à Dresde, est pourtant le premier triomphe de Wagner, qui n’a alors que 29 ans. Les influences sont manifestes, notamment de Meyerbeer, mais aussi de Weber et de Rossini. Le plus surprenant, cependant, est qu’une première écoute de cette œuvre singulière ne laisse presque rien entrevoir de la future production wagnérienne, alors même que Le Vaisseau fantôme sera créé seulement trois ans plus tard. Rienzi est un ouvrage fleuve et bouillonnant, dans lequel les décibels se font entendre, une partition monumentale et redoutable pour tous les interprètes, qu’ils soient musiciens, choristes ou chanteurs. C’est d’ailleurs sur le chœur que repose toute l’architecture de l’œuvre. Personnage-clé de l’opéra – représentant le peuple –, il est constamment sollicité. A Salzbourg, les choristes de l’Opéra de Vienne ont livré une prestation remarquable et ont été, à juste titre, ovationnés au terme de la représentation.
L’autre grand triomphateur de la soirée a été Philippe Jordan, à la tête du Gustav Mahler Jugendorchester. Le chef, d’une précision époustouflante, a offert une lecture vive et pleine d’élan, d’un lyrisme irrésistible ; pendant plus de trois heures (la partition originale frôle les six heures !), il n’a à aucun moment laissé faiblir la tension dramatique mais a fait souffrir les solistes, qui ont dû lutter contre les fortissimi de l’orchestre. Le ténor Christopher Ventris possède la vaillance et l’endurance qui lui permettent d’arriver au bout d’un rôle-titre particulièrement long, et où le grave est constamment sollicité. On retiendra avant tout la « Prière » du dernier acte, admirable de nuances et d’émotion. Adriano, rôle peut-être plus redoutable encore, avec son écriture impossible, a été confié à Sophie Koch. Même si elle a clairement atteint ici les limites de ses possibilités vocales, notamment dans les aigus, la chanteuse a déployé son mezzo de velours pour composer un personnage à la fois touchant et ardent. En difficulté elle aussi, Emily Magee a néanmoins incarné une Irène particulièrement dramatique, à la ligne de chant bien contrôlée. La représentation s’est terminée sous les applaudissements nourris d’un public conquis. Il est vrai que la soirée a été enthousiasmante à tous les points de vue.
Claudio Poloni
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