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Le retour de François-Frédéric Guy Nîmes Villevieille (Cour d’honneur du château) 08/08/2013 - et 5 août 2013 (L’Argentière-La Bessée) Richard Wagner : Tristan und Isolde: Prélude (transcription Zoltán Kocsis) et «Mort d’Isolde» (transcription Liszt)
Hugo Wolf : Paraphrase über «Die Walküre»
Franz Liszt : Harmonies poétiques et religieuses: «Funérailles»
Ludwig van Beethoven : Sonate n° 21, opus 53 «Waldstein»
François-Frédéric Guy (piano)
Subventions en baisse ou versées tardivement, quand elles ne sont pas purement et simplement supprimées, mécènes évanouis ou moins généreux, public capricieux et imprévisible: année après année, les festivals naviguant entre ces écueils sont toujours plus nombreux. Certains ont sombré, d’autres ne survivent que par la volonté acharnée de leurs responsables et par le dévouement de leurs bénévoles. C’est le cas du festival de Villevieille Salinelles, fondé par Michel Garcin (1923-1995), alors directeur artistique d’Erato. Au château (XIe/XVIe) de Villevieille ou en la chapelle Saint-Julien-de-Montredon (XIe-XIIe) à Salinelles, la manifestation, depuis lors sous la responsabilité de Daniel Ferrier, maintient, pour sa quarante-quatrième édition, une programmation variée – du Moyen-Age au romantisme, des danses traditionnelles d’Europe centrale aux diverses traditions méditerranéennes – et de qualité – Paul O’Dette, Kenneth Weiss, le Quatuor Parisii.
Propriété de la famille David-Beauregard, le château de Villevieille domine la vallée du Vidourle et la cité de Sommières: sur ces hauteurs, le vent peut très bien essayer d’apporter une nouvelle menace à une journée qui n’en a pas été avare – alerte météorologique levée seulement en début d’après-midi, camion tombé en panne sitôt arrivé à destination et dans l’impossibilité de faire fonctionner son hayon pour assurer la livraison du Steinway – mais les murs de la cour d’honneur procurent un abri bienvenu et contribuent en outre à une acoustique d’excellente qualité. Le ciel est dégagé et la nuit sera claire: nonobstant les petits couinements d’une chauve-souris effarouchée et le clocher du village, au loin, les conditions sont donc idéales pour le retour de François-Frédéric Guy à Villevieille, quinze ans après une Hammerklavier dont on n’a pas de mal à comprendre qu’elle soit semble-t-il restée dans toutes les mémoires.
L’intitulé de la soirée, «Hommage à Wagner» (bicentenaire oblige), ne caractérise en fait que la première partie du récital, qui comprend des transcriptions ou arrangements d’œuvres du maître de Bayreuth. De Tristan et Isolde (1859), la «Mort d’Isolde» très tôt réalisée par Liszt (1867/1874) n’a pas tardé à s’imposer au répertoire parmi d’autres de ses arrangements pas toujours aussi inspirés, mais le pianiste et chef d’orchestre hongrois Zoltán Kocsis (né en 1952), voici plus de trente ans, a eu la bonne idée, afin de reconstituer au piano le diptyque «Prélude et mort d’Isolde» familier des concerts symphoniques, de transcrire le Prélude du premier acte – du coup, les quatre sombres mesures d’introduction de la transcription lisztienne sont omises afin de réaliser l’enchaînement traditionnel des deux pièces. Plutôt que de tenter vainement d’imiter l’orchestre, François-Frédéric Guy fait valoir les atouts du clavier dans son entière plénitude, avec tout ce que sa spécificité et son timbre peuvent apporter à cet univers, et, surtout, possède la maîtrise des progressions et des transitions, si importante dans cette musique.
Ardent défenseur de Wagner à une époque où le milieu musical germanique se partageait entre ses partisans et ceux de Brahms, Hugo Wolf a écrit deux Paraphrases sur ses opéras, l’une sur Les Maîtres chanteurs, l’autre sur La Walkyrie. De cette première journée de la Tétralogie, il réalise une sorte de résumé de près de vingt minutes, respectant le déroulement du livret: hormis l’énoncé de quelques leitmotivs essentiels, la partition met avant tout l’accent sur le duo du premier acte entre Siegmund et Sieglinde, d’une part, et sur la conclusion du troisième acte (adieux de Wotan et embrasement du rocher), d’autre part. Ici, ce sont la virtuosité – si habile soit-elle, l’écriture est d’une exigence très élevée, particulièrement dans la scène finale – et le sens narratif du pianiste français qui forcent l’admiration.
Il consacre la seconde partie à deux de ses compositeurs de prédilection, d’abord Liszt: on connaît en effet ses affinités avec les Harmonies poétiques et religieuses (1852), qu’il a illustrées tant au disque qu’au concert. Dans la septième de ces dix pièces, «Funérailles», la simple performance pianistique s’efface devant une approche qui sait s’ouvrir au spectaculaire sans céder au tape-à-l’œil, à l’éloquence se complaire dans la rhétorique.
Mais c’est évidemment plus encore à Beethoven que le nom de François-Frédéric Guy est associé depuis les débuts de sa carrière. S’apprêtant à présenter à la fin du mois les trente-deux Sonates au festival Berlioz de La Côte-Saint-André, il a choisi ce soir la Vingt-et-unième «Waldstein» (1804): la variété des couleurs et du toucher évoque paradoxalement ici un jeu... orchestral, mais la fête n’en est pas moins aussi pianistique, tant il fait apparaître comment Beethoven repousse les limites de la facture instrumentale de son temps. Et si on l’a rarement vu s’engager avec autant d’élan et de spontanéité, l’«Introduzione» centrale, trop souvent expédiée comme une parenthèse entre les déferlements de notes des deux mouvements qui l’encadrent, acquiert une exceptionnelle profondeur d’expression.
Comme souvent, il donne en bis l’Adagio sostenuto initial de la Quatorzième Sonate «Clair de lune» (1801), mais à des spectateurs très attentifs et plus convaincus qu’à l’issue de la première partie, il offre en outre deux Nocturnes de Chopin, l’incontournable ut dièse mineur opus posthume (1830) – que n’est-il toujours interprété avec cette droiture et ce refus de la facilité? – et le Second de l’Opus 62 (1846).
Le site du festival de Villevieille Salinelles
Le site du château de Villevieille
Le site de François-Frédéric Guy
Simon Corley
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