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Une perle et quelques cailloux Montpellier Opéra Berlioz 07/19/2013 - Umberto Giordano : Madame Sans-Gêne
Iano Tamar (Madame Sans-Gêne), Adam Diegel (Lefebvre), Franck Ferrari (Napoléon), Franco Pomponi (Fouché), Pablo Karaman (Le comte Neipperg), Lara Matteini (Toniotta, La Reine Caroline, L’Impératrice), Chiara Pieretti (Giulia, Madame de Bülow), Ilaria Zanetti (La Rossa/La Princesse Elisa), Matteo Mezzaro (Despréaux), Florian Sempey (Leroy), Michal Partyka (Gelsomino), Gundars Dzilums (De Brigode, Roustan), Franck Bard (Vinaigre)
Chœur de l’Opéra national de Montpellier, Noëlle Gény (chef de chœur), Chœur de la Radio Lettone, Sigvards Klava (chef de chœur), Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon, Mario Zambelli (direction)
I. Tamar (© Luc Jennepin)
Fidèle à sa vocation – celle de faire découvrir des raretés lyriques – car côté symphonique, nous aurons droit aux mêmes titres rebattus à longueur de saison –, l’édition 2013 du festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon propose deux titres au mélomane curieux: La Vivandière de Benjamin Godard (1849-1895) et cette Madame Sans-Gêne (1915) du plus connu Umberto Giordano (1867-1948).
Comme chaque année, la question qu’on se pose avant d’entrer dans la salle est: cet opéra mérite-t-il d’être ressuscité? A l’issue du spectacle, nous pensons que, grâce à l’envergure de la prima donna qu’est sans conteste Iano Tamar, mais aussi à un chef du calibre de Mario Zambelli, la réponse est affirmative.
Le premier acte, certes, demeure laborieux, et cette vision de la Révolution française à travers le regard d’une blanchisseuse n’a rien d’exaltant. Au II, Giordano retrouve davantage la veine qui a fait son succès, quand Catherine, devenue l’épouse du bras droit de Napoléon et promue duchesse, essaie robes et chaussures avec gaucherie et apprend à danser (Tamar mime avec beaucoup d’humour la scène), telle une Manon enrichie. Sans se montrer réellement drôle ou ironique, le compositeur de Foggia retrouve parfois, dans ces scènes, la puissance d’inspiration d’Andrea Chénier, en particulier quand il s’agit d’évoquer la déception de la jeune épousée, dont les accents de fauve blessé font immanquablement penser à Madeleine de Coigny. Au dernier, quand Catherine rend visite à Napoléon fort mécontent de ses incartades, la partition bascule trop vite dans les excès du mélodrame vériste, l’empereur réalisant que la maréchale d’aujourd’hui n’est autre que la blanchisseuse d’hier, chez laquelle il faisait laver son linge sans jamais régler sa facture (le malheureux n’a même pas de quoi se tenir propre!).
Dans ces moments-là, la soprano géorgienne s’avère très émouvante, avec des accents voluptueux et denses, sensuels et riches, vibrants et intenses – magnifique «Gli avrei detto») – qui nous rappellent qu’elle est la plus extraordinaire Leonora ( Le Trouvère) qu’il nous ai été donné d’entendre, voici quelques saisons à l’Opéra de Toulon. Après sa prestation, nous aimerions bien écouter ce qu’en faisait la célèbre Géraldine Ferrar, créatrice du rôle au Met, en 1915, sous la baguette d’Arturo Toscanini.
Autour de la perle qu’est Iano Tamar, il était indispensable d’engager des artistes d’un niveau équivalent, capables de lui offrir une réplique adéquate. Remplaçant Marcello Giordani initialement annoncé, le ténor américain Adam Diegel – voix avare de nuances, de couleurs et d’éclat – n’évoque même pas le reflet du tenore spinto exigé par le rôle de Lefebvre, et s’avère incapable – même s’il s’agissait certes d’une version de concert – de rendre son personnage crédible, indifférent qu’il se montre la soirée durant à ses partenaires en même temps que peu concerné par ce qu’il chante. Quant à Franck Ferrari – et son impossible émission en arrière, poussive et souvent inaudible – comment a-t-il pu imaginer (ou les programmateurs pour lui) un seul instant posséder la vocalità du grand baryton vériste que réclame Napoléon?
Les trois «cocottes» du premier acte, répliques des Poussette, Javotte et Rosette de Manon, sont fort mal défendues par Lara Matteini, Chiara Pieretti et Ilaria Zanetti, tandis que le bonheur est total avec le baryton américain Franco Pomponi dans le rôle de Fouché, qui délivre son habituel chant racé, tout en nous gratifiant de son timbre de bronze. Déception, en revanche, pour le comte Neipperg de Pablo Karaman, faute de projection et de séduction vocales. Quant aux comprimari, ils n’appellent aucune réserve avec une mention spéciale pour l’excellent baryton bordelais Florian Sempey, promis à une brillante carrière.
Le grand métier de Mario Zambelli parvient à pallier les flagrantes erreurs de distribution, et on peut dire que le chef italien sert avec noblesse cette partition vériste. Sa lecture flamboyante, haletante et fiévreuse, n’autorise aucune chute de tension, révélant chez Giordano des qualités de symphonistes insoupçonnées.
Malgré les faiblesses vocales, une belle redécouverte, que nous aimerions maintenant réentendre en version scénique.
Emmanuel Andrieu
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