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Le retour du chef Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès 05/16/2013 - et 17 mai 2013 Maurice Ravel : La Valse
György Ligeti : Atmosphères
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 7 «Leningrad», opus 60 Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction) M. Letonja
Après quelques mois d’absence passés à honorer des contrats ailleurs, Marko Letonja revient à la tête de «son» Orchestre philharmonique de Strasbourg, qui à l’évidence joue actuellement beaucoup mieux avec lui qu’avec n’importe chef invité. Dès les premiers sons impalpables de La Valse (une vraie spécialité de l’orchestre, cela dit), on ressent une véritable impression de sécurité, de prise en main des commandes. Les contraintes techniques s’effacent et une vraie lecture devient possible. Le scénario cauchemardesque habituel s’échafaude sans se faire prier ni inutilement solliciter, ce qui rend le cataclysme final encore plus marquant. L’affinité de Marko Letonja avec cet univers 1900 d’un raffinement ouvertement déliquescent, même transcendé par le second degré ravélien, apparaît à nouveau patente, déjà constatée dans la fosse de l’Opéra du Rhin en début de saison lors d’un Ferne Klang de Schreker particulièrement réussi.
Curieuse idée en apparence que de placer un morceau aussi lourd au début d’un concert, mais l’expérience n’est pas nouvelle (déjà tentée par Yannick Nézet-Séguin à Munich par exemple) et la vigueur d’une telle entrée en matière paraît efficace pour réveiller le public et focaliser son attention, souvent déficiente en début de soirée. De l’attention, il en faudra beaucoup à la salle pour affronter la petite dizaine de minutes particulièrement dense d’Atmosphères de Ligeti, ici relativement préservée des tousseurs et éternueurs toxiques. Datée de 1961, période charnière où les activistes post-weberniens commencent à s’essouffler ou du moins s’isoler dans leurs dogmes, cette tentative de transposer à l’orchestre des réflexes d’écoute qui révèlent bien davantage de la musique électro-acoustique s’avère toujours aussi fascinante à écouter mais surtout, bien sûr, à regarder. L’orchestre semble en tout cas très concentré, tout à ses petites affaires dans le déploiement d’un laboratoire sonore d’une constante ingéniosité. A noter le positionnement peu habituel du piano au centre, comme s’il s’agissait d’un concerto, alors que seuls quelques frémissements ultimes vont sortir de l’instrument, délicat jardinage sonore obtenu directement sur les cordes par deux percussionnistes munis de grattoirs. Mais il est probable que si l’instrument était resté au fond de l’orchestre ou sur le côté, on n’aurait probablement pas perçu grand chose de ce subtil et poétique courant d’air qui marque la fin du propos, retour au silence absolu... ou plutôt en l’occurrence au discret ronflement parasite de la ventilation du Palais de la Musique et des Congrès.
Bourratif plat de résistance ensuite, avec l’interminable Septième Symphonie «Leningrad» de Chostakovitch, une œuvre qui a sans doute droit de cité aux programmes de nos concerts, même si on ne l’y entend guère. Il est vrai que l’on trouvera volontiers au moins dix partitions symphoniques de Chostakovitch à populariser avant, et que s’atteler à celle-là relève un peu de l’abnégation. Place en tout cas à un effectif orchestral large, potentialisé par une lourde brochette de cuivres à l’arrière-plan. La réalisation en temps réel de l’invasion ennemie au cours de l’Allegro initial, sorte de démarquage criard et vulgaire d’un Boléro devenu lourdingue, avec son thème pataud ponctué par une caisse claire obsédante, ne laisse pas d’impressionner. Là, en raison d’un évident génie de Chostakovitch pour la caricature, même énorme, on marche. Mais ensuite, que d’enlisements, que de retours brucknériens... L’Adagio, «grands espaces de la Patrie» dans lesquels on s’égare comme dans une taïga sans début ni fin, est un moment particulièrement difficile. Le compositeur n’a manifestement pas eu le temps de faire court, dans cette partition mastodonte hâtivement écrite. Une page d’histoire cependant, et pour l’orchestre un véritable défi technique, relevé haut la main, sans doute au prix de quelques crampes à l’issue.
Laurent Barthel
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