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Triomphe de l’ultime opus de Massenet à Marseille Marseille Opéra municipal 06/15/2013 - et 18, 20, 23* juin 2013 Jules Massenet : Cléopâtre
Béatrice Uria-Monzon (Cléopâtre), Jean-François Lapointe (Marc-Antoine), Kimy Mc Laren (Octavie), Luca Lombardo (Spakos), Antoinette Dennefeld (Charmion), Philippe Ermelier (Ennius), Bernard Imbert (Amnhès), Jean-Marie Delpas (Sévérus), Norbert Dol (L’esclave), Marco Vesperini (Adamos)
Chœur de l’Opéra de Marseille, Pierre Iodice (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Marseille, Lawrence Foster (direction)
Charles Roubaud (mise en scène), Emmanuelle Favre (scénographie), Katia Duflot (costumes), Marc Delamézière (lumières), Marie-Jeanne Gauthé (vidéos)
(© Christian Dresse)
Si la dernière partition de Jules Masssenet n’offre pas une musique toujours inspirée les quatre actes durant – mais le dernier est tout simplement somptueux –, elle est suffisamment riche pour mériter la scène – rappelons que l’ouvrage n’a pas été remonté en France depuis la première biennale Massenet, à Saint-Etienne en 1990. Saluons donc le courage de Maurice Xiberras, maître des lieux, de proposer au public marseillais cet opéra qui met en scène, sur un livret du duo Payen et Cain, les dernières amours de la fille des Ptolémée, la sulfureuse Cléopâtre.
Créé en 1914 à l’Opéra de Monte-Carlo, deux ans après la mort du compositeur, Cléopâtre, à l’instar d’Ariane (1906), de Bacchus (1909) ou encore de Roma (1912), est inspiré par l’Antiquité. Mais si Richard Strauss mélange les genres dans sa propre Ariane à Naxos ou, sans le goût de la parodie d’Offenbach, joue la carte de l’ironie, comme dans Hélène d’Egypte, Massenet se prend au sérieux et emprunte son esthétique aux plus beaux tableaux pompiers du XIXe, dont s’est largement inspiré Charles Roubaud, avec le concours d’Emmanuelle Favre pour les décors et de Marie-Jeanne Gauthé pour les vidéos, dessinant le portrait de la belle Egyptienne avec les langueurs d’un Ingres et la rigueur académique d’un David.
Pour un metteur en scène contemporain, l’évocation de ce monde exige un véritable talent d’illustrateur et une profonde culture, ce qui est le cas du metteur en scène marseillais. Toute œuvre oubliée a besoin du secours de l’image, de la démarche scénique, et nous serons reconnaissants à Charles Roubaud pour sa lecture «en situation» du drame historique. Accompagné par les fidèles Katia Duflot aux costumes et Marc Delamézière aux lumières, il propose un magnifique livre d’images, celui d’une Egypte de légende, auquel une direction d’acteurs affûtée fait néanmoins défaut (c’est là le talon d’Achille de l’homme de théâtre).
Ecrit pour une vraie prima donna, le rôle de Cléopâtre est conçu pour un falcon à la voix ample, généreuse, au timbre sensuel et voluptueux, une Dalila en plus clair. Comme on le sait, Béatrice Uria-Monzon – BUM pour les intimes – est une magnifique actrice, jouant ici à merveille de son corps, reine et femme à la fois, déesse et courtisane; elle alterne abandon, colère et désespoir avec un égal bonheur. Le timbre – on le sait aussi – est de toute beauté, la diction est pour une fois châtiée – nous l’avons très souvent blâmée à ce sujet –, mais sa palette de couleurs reste un rien limitée. Elle se révèle magistrale dans l’inoubliable scène finale («J’ai versé le poison»), rejoignant la mort de Didon dans Les Troyens de Berlioz (qu’elle interprétera justement le mois prochain, in loco, au côté de Roberto Alagna), et le sublime récit de Selika dans L’Africaine de Meyerbeer, parmi les moments les plus forts de la création lyrique française.
Le baryton québécois Jean-François Lapointe, qui lui donne la réplique en Marc-Antoine, évolue sur les mêmes sommets, avec une superbe autorité tant vocale que scénique. Son chant est de bout en bout captivant grâce à son timbre mordant, sa diction racée, son intense musicalité et son formidable sens des couleurs et des nuances. En forme, l’aigu vaillant, le ténor français Luca Lombardo (Spakos) compense par la clarté et la beauté du chant un jeu de scène qui n’a jamais été son fort. Quant à l’autre Québécoise de la distribution, la soprano Kimy Mc Laren (Octavie), elle gratifie l’auditoire de son joli soprano fruité et de sa voix agile. Tous les comprimari se sont parfaitement acquittés de leur tâche, avec une mention pour la très belle Charmion d’Antoinette Dennefeld.
Enfin, dernier bonheur de la soirée, le chef américain Lawrence Foster, directeur musical de la maison, auquel l’Orchestre de l’Opéra de Marseille répond comme un seul homme en cette matinée de dernière. La richesse de la sonorité, le phrasé cantabile et le chatoiement dans la couleur rendent pleinement honneur à la partition de Massenet.
Emmanuel Andrieu
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