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Le talent confirmé d’Andrey Boreyko Paris Salle Pleyel 06/12/2013 - Witold Lutoslawski : Concerto pour orchestre
Franz Liszt : Concerto pour piano n° 2
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Suite n° 3, opus 55
Khatia Buniatishvili (piano)
Orchestre de Paris, Andrey Boreyko (direction)
K. Buniatishvili (© Esther Haase/Sony Classical Int.)
Le nouveau directeur de l’Orchestre national de Belgique, qui fait une belle carrière internationale, s’était signalé en janvier 2009 et en janvier 2011 , à la tête du Philhar’. Il était donc temps qu’Andrey Boreyko, un des meilleurs de sa génération, revînt à Paris. Programme intéressant: centenaire oblige, le Concerto pour orchestre de Lutoslawski, que l’orchestre a joué déjà plusieurs fois, et la rare Troisième Suite de Tchaïkovski, qu’il inscrit enfin à son répertoire.
Hommage moderne aux formes du passé, recréation du folklore, le Concerto de Lutoslawski s’inspire sans l’imiter de celui de Bartók – la rythmique, les couleurs sont bien celles du musicien polonais. Andrey Boreyko, qui a officié à Poznan et dirige volontiers la musique polonaise, est un peu sur ses terres. Il a le geste précis et sûr, conduit l’œuvre en architecte: plans nets, forme maîtrisée. Il impose surtout, d’emblée, une lecture très tendue, tenant l’Intrada d’une main de fer, avant que le Capriccio notturno ne fende la nuit par ses fusées de doubles croches. Mystère sombre, oppressant de la Passacaille, impeccablement structurée, irrésistible avancée de la Toccata: tout cela révèle un vrai chef, qui a compris la dramaturgie de l’œuvre – Lutoslawski, s’il pense sa musique au millimètre, est loin d’être cérébral – et dirige un Orchestre de Paris virtuose.
Le Second Concerto de Liszt le montre moins à son avantage – à vrai dire, il semble un peu faire cavalier seul face au piano de Khatia Buniatishvili, doigts d’acier et physique – et robe – de vamp. Un phénomène, pas seulement par la poigne: par l’imagination, la capacité à réinventer la musique. Voici un Concerto flamboyant, visionnaire, mais aussi poétique et facétieux, tout de folie jamais furieuse et de liberté rhapsodique – beau dialogue aussi avec le chaleureux violoncelle d’Emmanuel Gaugué. La jeune Géorgienne installée à Paris confirme avec éclat la sensation qu’avait produite son disque Liszt (Sony). Même folie coruscante – un peu trop? – dans le Precipitato final de la Septième Sonate de Prokofiev donné en bis: une irrésistible déferlante après l’éthéré «Schafe können sicher weiden», air de Palès de la Cantate de la chasse de Bach transcrit par Egon Petri.
Des quatre Suites de Tchaïkovski, on connaît surtout la Quatrième «Mozartiana». La Troisième rend aussi hommage au XVIIIe qu’il aimait tant, à travers le thème des Variations finales – on pense à la Pastorale de La Dame de pique, aux Variations rococo. Mais elle porte, plus encore, la marque du lyrisme tchaïkovskien, que le chef russe restitue sans outrance. La pâte sonore reste fluide dans les épanchements de l’Elégie – belles cordes, même si on les aimerait plus onctueuses. Les déhanchements rythmiques de la Valse mélancolique nimbent d’une ombre de mélancolie, voire d’amertume, le trois temps de la danse, à laquelle la direction donne peut-être un léger excès de poids. Mais le Scherzo, impatient, tout en finesse, zébré d’éclats des cuivres, fait ensuite passer des fantômes, elfes ou fées, dans l’esprit de Mendelssohn ou de Berlioz – ou du Manfred à venir bientôt. Difficile finale, par la diversité de ses Variations, avec l’insertion curieuse du Dies irae dans la Quatrième, le fugato néoclassique de la Cinquième, la Polonaise de l’ultime Douzième... Pas de dispersion sous la direction à la fois exigeante et généreuse d’Andrey Boreyko, qui unifie l’ensemble, assure naturellement les passages de l’une à l’autre, trouvant une fois de plus le point d’équilibre entre les différents pôles de la partition.
Le site de Khatia Buniatishvili
Didier van Moere
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