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Kaléidoscope américain

Normandie
Deauville (Salle Elie de Brignac)
05/08/2013 -  
Paul Bowles : Huapango n° 1 (*) – La Cuelga (*) – Sayula (*) – Huapango n° 2 (#) – El Bejuco (#) – Orosi (#) – Tierra Mojada (#) – Cuatro Canciones Espanolas (extraits) (#) – Mes de Mayo (*) – Night Waltz (* #)
Carlos Chávez : Prélude n° 1 (#)
Aaron Copland : El Salón México (arrangement Leonard Bernstein) (* #) – Old American Songs: «Ching-a-ring-chaw» (#)
Ruperto Chapi y Lorente : Las hijas del zebedeo (extrait)

Irina de Baghy (mezzo-soprano), Clément Lefebvre (*), Ismaël Margain (#) (piano), Juan Carlos Cáceres (chant et piano), Mônica Passos (chant, guitare et flûte), Raúl Barboza (accordéon)


P. Bowles


Semaine faste pour la musique à Deauville. Ceux qui ont connu le désert musical qu’était la ville dans les années soixante, soixante-dix et quatre-vingts, malgré son prestige international à l’époque, ne peuvent qu’apprécier. Dans le cadre du jour mondial de l’orgue, le 5 mai, le nouveau titulaire de l’orgue de l’église Saint-Augustin, Hector Cornilleau, présentait son excellent instrument Haerpfer-Erman avant d’interpréter quelques pièces dont une de ses compositions. Dans celui du dixième salon Livres&Musiques, consacré cette année à l’Amérique latine, de nombreux moments musicaux, entrecoupés de spectacles, de conférences et de séances de dédicaces, ont lieu ici et là en divers points de la ville depuis le 7 mai et jusqu’au 9 mai inclus; un bal ouvert au public, qui permit d’admirer sur la piste d’excellents amateurs, fut même consacré au tango le 7 mai. Enfin dans le cadre du dix-septième festival de musique de chambre, qui se poursuit depuis le 27 avril, on peut découvrir de vrais jeunes talents classiques.


Les programmations ne s’ignorent pas puisque c’est un «Off de Pâques» associant salon et festival qui était proposé salle Elie de Brignac en ce 8 mai. Alors que le salon avait pour thème l’Amérique latine, il était consacré notamment à Paul Bowles (1910-1999), célèbre écrivain et voyageur américain mais aussi compositeur qu’eut le bonheur de rencontrer dans ses dernières années l’organisateur du festival, Yves Petit de Voize. Plusieurs autres compositeurs étaient à l’affiche mais si on pouvait se féliciter d’y voir des créateurs américains, on regrettait qu’il n’ait pas été profité de prétexte du thème du salon pour assurer plus de cohérence au programme et pour présenter exclusivement des pages d’auteurs latino-américains, par exemple brésiliens ou argentins, les musiques sud-américaines méritant tout de même d’être déconnectées de celles de l’ancien colonisateur espagnol. Alberto Ginastera ou Heitor Villa-Lobos auraient eu ainsi toute leur place. Rappelons que Manuel de Falla (1876-1946) ou Rodolfo Halffter (1876-1946), Espagnols initialement prévus, ne s’installèrent de l’autre bord de l’Atlantique, en Argentine et au Mexique, qu’en raison du désastre de la guerre civile et du franquisme. Et Ruperto Chapí y Lorente (1851-1909), non prévu mais interprété sur l’insistance de la mezzo-soprano, avait aussi peu de rapport avec l’Amérique du sud que cette chanson proposée en fin de concert – Pino verde –, composée sur des paroles de Federico García Lorca et inspirée d’une mélodie traditionnelle andalouse. On pouvait aussi regretter, toujours au profit d’un happening radiophonique, que le Mexicain Silvestre Revueltas (1899-1940), trop méconnu en dehors de Sensemayá et La noche de los Mayas, ait été finalement exclu de la programmation. On a bien tort de tout mélanger et il faut craindre que, dans ce contexte, la France finisse par passer à côté de la création musicale actuelle du sous-continent américain, à l’instar de la création picturale (que l’on compare les marchés de l’art de Miami et de Paris!), ou froisse inutilement les susceptibilités des cultures latino-américaines qu’il conviendrait de distinguer soigneusement. L’échec de l’Année du Mexique en France en 2011 est bien symptomatique d’une réelle incompréhension.


Cela étant, le concert, retransmis en direct sur France Musique, était des plus plaisants, émaillé qu’il était de chansons interprétées par un bonhomme au chapeau mou indévissable, Juan Carlos Cáceres, écrivain et spécialiste du tango, – certaines de lui-même (Caminando, Tango negro) -, la voix rocailleuse, le toucher rude et canaille et un sens inné de l’improvisation, ou par Mônica Passos, pasionaria brésilienne à la dégaine fellinienne mais dotée d’une voix puissante, d’un abattage impressionnant dans ses chants révolutionnaires, accompagnés au cajón et à la guitare, et d’un humour assez décalé avec ses appels à rejoindre la Révolution, à Deauville, le poing levé. Raúl Barboza, accordéoniste argentin aux racines guarani, autodidacte mais remarquable virtuose, était aussi de la fête pour transmettre sa culture chamanée, en compagnie d’une guitare et d’une guitare basse, le tout étant sonorisé et virant malheureusement parfois au vrombissement.


ConcertoNet s’attardera plutôt sur les prestations des pianistes Ismaël Margain, né en 1992 et troisième grand prix au concours Long-Thibaud-Crespin de 2012, et Clément Lefebvre, né en 1990 et encore au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Ils surent révéler la musique du jeune Paul Bowles avant qu’il ne se décide d’opter définitivement pour la littérature. On pouvait craindre une musique affadie et peu originale, à l’instar de celle d’autres écrivains compositeurs comme Rousseau, Nietzsche ou Adorno. En fait, les voyages de l’auteur le conduisirent à écrire une musique sans doute moins novatrice que celle de Conlon Nancarrow (1912-1997) auquel faisait penser sa Night Waltz pour deux pianos mais toujours captivante par son inventivité et ses influences multiples, provenant notamment du jazz et des rythmes latinos. Le duo, toujours précis, excella aussi dans une pièce langoureuse et aux déhanchements provocants écrite probablement sous un soleil de plomb par Aaron Copland (1900-1990), maître de Bowles, et arrangée par Leonard Bernstein (1918-1990), El Salón México. Clément Lefebvre montra pour sa part une belle palette sonore dans les pièces pour piano seul de Bowles ou le Premier Prélude du Mexicain Carlos Chávez (1899-1978), comme marqué par des volées de cloches dans les aigus, tandis qu’Ismaël Margain faisait preuve d’une réelle finesse, voire de charme, dans les pièces de Bowles qui lui étaient dévolues.


La mezzo-soprano canadienne Irina de Baghy, à la voix légère et peu puissante mais élégante et maîtrisée, parut beaucoup plus à son aise dans une mélodie de langue anglaise composée par Copland, «Ching-a-ring-chaw», non inscrite initialement au programme, que dans les pièces en langue espagnole de Bowles, datant de 1944, ou de Chapí, de 1889, l’articulation et la prononciation de cette anglophone étant naturellement meilleure en anglais. Mais l’espièglerie de l’interprète et la souplesse de la voix, manifeste dans le morceau de bravoure extrait de la zarzuela du madrilène emportèrent à juste titre l’adhésion du public.


Public dont on regrettera une nouvelle fois la maigreur et où ne figurait guère de jeunes malgré l’éclectisme du programme et la gratuité des places, alors que l’Office de tourisme annonçait la veille au représentant de ConcertoNet la faible disponibilité de fauteuils libres. S’il était démontré – s’il en était besoin – que la politique tarifaire du festival n’était pour rien dans cette désaffection, on se perd pour autant en conjectures. Il reste à espérer que la suite du festival permettra de revenir sur nos tristes constats, un festival ayant naturellement besoin pour survivre d’un public dynamique, et les artistes se produisant à Deauville méritant assurément mieux.



Stéphane Guy

 

 

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