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Le répertoire du XXe siècle s’invite et triomphe à Avignon

Avignon
Opéra-Théâtre
03/17/2013 -  et 19* mars 2013
Leos Janácek : Jenůfa

Christina Carvin (Jenůfa), Géraldine Chauvet (Kostelnicka), Marlin Miller (Laca), Florian Laconi (Steva), Anne Salvan (Grand-mère Burya), Philippe Ermelier (Le contremaître), Frédéric Gonçalves (Le maire), Marie-Thérèse Keller (La femme du maire), Clémence Barrabé (Karolka), Marie Gautrot (La vachère), Ludivine Gombert (Barena), Aurélie Ligerot (Jano), Julie Mauchamp (Tetka), Peter Longauer (Un vieux paysan), Solenne Aubrun (Une villageoise)
Chœurs de l’Opéra-Théâtre du Grand Avignon, Aurore Marchand (chef de chœur), Orchestre lyrique de région Avignon Provence, Balázs Kocsár (direction)
Friedrich Meyer-Oertel (mise en scène), Ruth Orthmann (assistante à la mise en scène), Heindrum Schmelzer (décors et costumes), Hanns Haas (lumières), Eric Belaud (chorégraphie)


C. Carvin, G. Chauvet (© Cédric Delestrade/ACM Studio)


Après un superbe Wozzeck le mois dernier, il faut saluer le courage de la direction de l’Opéra-Théâtre d’Avignon, placée sous la houlette de Gérard Facq, de mettre à son affiche la Jenůfa de Janácek, deux œuvres qui n’avaient jamais été représentées dans les murs de l’institution provençale. Pari payant puisque, si les deux titres n’ont malheureusement pas fait salle comble, la réalisation des deux ouvrages a été une incontestable réussite, le public ayant réservé un triomphe à l’ensemble des acteurs de ces deux productions.


C’est avec un grand plaisir que nous retrouvions cette production signée par Friedrich Meyer-Oertel, créée à Montpellier en mars 1997 et reprise à Bordeaux en 2010. Image fidèle à notre souvenir, le rideau se lève sur un horizon lumineux et sans fin, prolongeant un sol doré et bosselé, envahis par les grains du moulin – décor d’Heidrun Schmelzer, magnifié par les éclairages subtils de Hans Haas. Tout est calme, serein, fait pour le bonheur. En réalité, nous sommes sous le hangar où le grain s’entasse, poussé par le vent, au plafond si haut qu’il ne pèse pas et qu’on l’oublie. En scène, une jeune silhouette, mince, une campagnarde d’un certain rang, est occupée à des tâches ménagères, en compagnie de sa grand-mère. Elle semble naïve, innocente, soignant son pot de romarin qui symbolise ses jeunes amours c’est Jenůfa. Elle paraît insouciante et vive, pourtant elle est enceinte secrètement de l’héritier du moulin, Steva Burya, pour son malheur arrogant, noceur et déjà ivrogne. Un drame guette la jeune femme...


Seize ans plus tard, à Avignon, la force dramatique et émotionnelle de la mise en scène du metteur en scène allemand (qui s’est occupé lui-même de la reprise) demeure intacte, toujours aussi fidèle à l’esprit de l’œuvre, et bénéficie d’une distribution qui, à un bémol près, a soulevé l’enthousiasme, et nous a même paru d‘un cran supérieur au cru 1997. Pour commencer, Meyer-Oertel dirige magnifiquement ses chanteurs; pour Jenůfa, il joue ainsi longtemps sur deux tableaux, l’angoisse et l’innocence. Mais tous les personnages sont bien dessinés, et surtout leurs relations, au sein de cette famille où interfèrent des questions de filiation et d’héritage.


Le plus remarquable est le ténor américain Marlin Miller, doté d’un timbre typiquement «janacekien», centré sur un aigu à la fois tendre et rayonnant, clair et puissant et d’une sûreté égale dans de superbes nuances piani. En outre, il conduit magnifiquement son rôle de Laca dans ses relations avec les trois principales femmes de l’histoire (Jenůfa, Kostelnicka et Grand-mère Burya), de même qu’il rend palpable d’admirable façon les pulsions naïves et généreuses de son personnage. Débutant dans le rôle-titre, la soprano allemande Christina Carvin confirme d’emblée, par son rayonnement charnel et sa sensualité tempérée de sagesse, qu’elle est une interprète idéale pour incarner la jeune villageoise, à qui elle prête des accents vocaux aussi naturels que chaleureux, pareillement expressifs dans la douceur que dans la violence et la touchante humilité de sa résignation chrétienne.


En revanche, le choix de la mezzo Géraldine Chauvet, pour qui il s’agissait également d’une prise de rôle, ne semblait pas a priori évident pour Kostelnicka, personnage tourmenté jusqu’au déchirement. Certes, le metteur en scène a su lui faire rendre, avec une constante dignité d’attitude, l’implacable rigidité de cette femme de devoir dont l’infanticide commis ronge la conscience et qui atteint, dans l’aveu de son crime, à une grandeur morale rédemptrice. Mais sur le plan vocal, la Française n’est malheureusement pas à même de traduire les degrés et les nuances de l’évolution du personnage, ne possède pas le volume requis pour cette partie et n’a, enfin, ni l’âge (sensiblement le même que celui de la soprano), ni l’aura de la sacristine.


Grand habitué des lieux, où Raymond Duffaut lui offre un rôle tous les ans, le ténor messin Florian Laconi campe un Steva qui, pour une fois, n’apparaît pas comme le «salaud» de l’histoire, mais plutôt comme un garçon au charme irrésistible, plus insouciant et superficiel que profondément mauvais, suscitant ainsi davantage la pitié que l’antipathie. Vocalement, s’il possède un organe d’une rare vaillance, il sait aussi nuancer en demi-teintes. Notons enfin, dans les rôles secondaires, les belles prestations d’Anne Salvan (Grand-mère Burya), d’Aurélie Ligerot (Jano), de Ludivine Gombert (Barena), de Philippe Ermelier (Le contremaître) ainsi que celle d’un chœur maison qui, s’il n’évite pas quelques décalages, s’avère totalement investi.


Le chef hongrois Balázs Kocsár obtient des musiciens de l’Orchestre lyrique de région Avignon Provence (à qui décidemment le répertoire du XXe réussit...) une lecture nerveuse de la partition, qui se déploie dans toute son admirable richesse souvent obsessionnelle, avec toujours ses étranges harmonies et ses stupéfiantes âpretés, ses abrupts changements d’éclairages, autant de brefs reflets sonores des vicissitudes de la destinée humaine.


Bref, un triomphe en tous points mérités.



Emmanuel Andrieu

 

 

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