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Marivaudage mozartien Bruxelles La Monnaie 03/05/2013 - et 7, 8, 10*, 12, 13, 16, 19 mars 2013 Benoît Mernier : La Dispute (création) Stéphane Degout (Le Prince), Stéphanie d’Oustrac (Hermiane), Julie Mathevet (Eglé), Albane Carrère (Adine), Cyrille Dubois (Azor), Guillaume Andrieux (Mesrin), Katelijne Verbeke (Cupidon, Mesrou), Dominique Visse (Amour, Carise)
Orchestre symphonique de la Monnaie, Patrick Davin (direction)
Karl-Ernst et Ursel Herrmann (mise en scène, décors, costumes, éclairages)
Mozartien: l’adjectif tombe sous le sens. Six ans après Frühlings Erwachen, Benoît Mernier (né en 1964) s’inspire cette fois de Marivaux. Le livret d’Ursel Herrmann et Joël Lauwers accorde une certaine importance au Prince et à Hermiane par rapport à la pièce éponyme. Ce couple usé et las observe une étrange expérience conduite par Mesrou et Carise alias Cupidon et Amour – quatre jeunes personnes enfermées s’aiment, cèdent au libertinage, se disputent – mais il ne s’aperçoit pas qu’il en fait également l’objet. Le quatuor mesure les contradictions de leurs sentiments tandis que le Prince et Hermiane cessent leur relation. Les expérimentateurs tirent la conclusion que le sentiment amoureux ne peut se réduire à l’amour ou au plaisir. La Dispute repose sur des moyens modestes: sept chanteurs, un rôle parlé, en l’occurrence Cupidon/Mesrou, un rôle muet (Une courtisane) et un orchestre d’une trentaine de musiciens. Comment ne pas établir un rapprochement avec Così fan tutte que la Monnaie représentera, justement, du 23 mai au 23 juin?
Différence majeure avec Mozart: l’absence de grande aria. Les répliques, courtes, voire cinglantes, fusent à toute vitesse durant un peu plus de cent minutes, de sorte qu’il s’agit d’une véritable pièce de théâtre musicale dans laquelle le chant et la parole se succèdent naturellement. Sophistiquée et expressive, la musique traduit avec imagination la diversité des sentiments qui traversent l’opéra comme la tendresse, l’ironie ou la cruauté. Fine, recherchée, ludique, l’orchestration témoigne de l’influence de Philippe Boesmans mais la musique de Benoît Mernier, intellectuelle et jouissive, trace son chemin. Vite, un enregistrement discographique pour savourer chez soi ce petit chef-d’œuvre plein de détails.
(© Bernd Uhlig)
Cette création repose entre de bonnes mains. Stéphane Degout et Stéphanie d’Oustrac, qui se produit à la Monnaie pour la première fois, aussi étonnant cela puisse-t-il paraître, forment un «vieux» couple parfait – le chant de la mezzo est de premier ordre, sa présence scénique magnifique. Recourir à de tels chanteurs pour défendre une œuvre nouvelle est un luxe. Julie Mathevet, Albane Carrère, Cyrille Dubois et Guillaume Andrieux composent un irrésistible quatuor de jeunes gens. La palme de la révélation revient à la première nommée, interprète d’Eglé, une soprano colorature à la voix épicée, à l’intonation nuancée et à l’élocution claire qui restitue avec aisance et audace la fraîcheur, l’impudeur et la naïveté de son personnage. Comédien formidable, chanteur singulier, Dominique Visse prend du plaisir à endosser le double rôle d’Amour et Carise, de même que Katelijne Verbeke (Cupidon/Mesrou) dont la diction française se caractérise par un léger accent, du reste, bien compréhensible. Rompu à la musique contemporaine, Patrick Davin dirige méticuleusement un orchestre engagé et réactif.
Il règne un parfum d’été dans ce jardin entouré d’immenses haies. Karl-Ernst Herrmann a imaginé comme lieu d’expérimentation un cube sans paroi délimité par des tubes en néon. La mise en signe qu’il signe avec sa partenaire de longue date constitue un modèle d’acuité, de vitalité et d’évidence : les chanteurs s’y prêtent volontiers sans s’y abîmer la voix. De la part de ce duo fidèle à la Monnaie depuis plus de trente ans, un tel niveau d’excellence n’étonne pas. Philippe Boesmans n’est plus seul: cette production aussi aboutie que Frühlings Erwachen prouve qu’il y a désormais un autre grand compositeur d’opéra en Belgique.
Sébastien Foucart
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