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Colorature versus grand lyrique Monaco Monte-Carlo (Opéra) 01/25/2013 - et 26, 27, 30, 31 janvier, 1er*, 2*, 3 février 2013 Giuseppe Verdi : La traviata
Désirée Rancatore/Sonya Yoncheva (Violetta Valéry), Antonio Gandia/Jean-François Borras (Alfredo Germont), Stefano Antonucci/Luca Salsi (Giorgio Germont), Liliana Mattei (Flora Bervoix), Loriana Castellano (Annina), Alain Gabriel (Le Vicomte de Letorières), Gabriel Ribis (Le Baron Douphol), Guy Bonfiglio (Le Marquis d’Obigny), René Schirrer (Le Docteur Grenvil), Pasquale Ferraro (Giuseppe), Romano dal Zovo (Un Commissionnaire)
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, Stefano Visconti (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, Marco Armiliato (direction)
Jean-Louis Grinda (mise en scène), Rudy Sabounghi (décors), Jorge Jara (costumes), Laurent Castaingt (lumières), Eugénie Andrin (chorégraphie)
L. Salsi, S. Yoncheva (© Opéra de Monte-Carlo)
Musicalement, La Traviata est un opéra qui échappe à la crise que traverse, depuis pas mal d’années, certains titres du répertoire verdien, une protagoniste de relief suffisant à résoudre la plupart des problèmes. Du reste, depuis sa création à la Fenice de Venise en 1853, le chef-d’œuvre de Verdi ne s’est t-il pas imposé dans les mémoires uniquement grâce aux sopranos qui l’ont abordé, qu’elles soient légères, lyriques ou dramatiques? A Monte-Carlo alternaient deux Violetta: Désirée Rancatore (remplaçant Inva Mula initialement annoncée) et Sonya Yoncheva. Elles ont en commun une vraie présence scénique (même si Yoncheva s’avère un cran au dessus), mais pour le reste, c’est-à-dire sur le plan strictement vocal, les deux cantatrices ne possèdent pas exactement la même typologie vocale, la première entrant dans la catégorie des lirico-leggero, la seconde dans celle des lirico-drammatico.
En fin de compte, on pouvait s’en douter, c’est Yoncheva qui rafle la mise, sans que sa consœur ne démérite pour autant. Pour commencer, elle campe une Violetta physiquement proche de l’idéal. Souple et féline, d’une grande beauté plastique, d’une extraordinaire aisance scénique, d’un tempérament volcanique, la soprano bulgare impressionne et subjugue également par une couleur de timbre exaltante, un chant superbement maîtrisé, la qualité constante de son legato et la perfection d’un aigu éclatant. Son «Amami Alfredo», à l’acte II, délivré avec une urgence et un déchirement inouïs, restera dans les mémoires. Face à cette révélation, sa «rivale», la Palermitaine Désirée Rancatore, si elle n’affiche pas le même charisme, incarne néanmoins une «dévoyée» très crédible. On lui saura gré notamment d’adoucir son timbre en fonction des exigences de l’action, avec des accents pénétrants, un phrasé extrêmement varié et de subtils jeux de clair-obscur qui font merveille dans le III, notamment dans l’«Addio del passato», chanté de manière très émouvante. Dans les deux premiers actes par contre, la voix ne franchit qu’au prix de beaucoup d’effort l’obstacle des grands paroxysmes dramatiques, malgré un souci fort louable, de la part de Marco Armiliato, de contenir l’orchestre pendant ces passages. Elle n’en a pas moins été ovationnée par le public au rideau final, accueil auquel elle a répondu par des larmes chaudement versées.
Si Jean-François Borras n’a pas tout à fait les mêmes raffinements ni la même précoce maturité que la diva bulgare, il n’en campe pas moins un Alfredo très convaincant. Il sait rendre l’impulsive jeunesse et la fougue naïve de son personnage et on admire sa parfaite diction de l’italien, son exemplaire legato, la séduction de son timbre et la sûreté de ses aigus, même s’il esquive le contre-ut de sa cabalette (qu’il avait pourtant atteint sans encombre à la générale, nous a t-on dit). L’autre Alfredo, l’Espagnol Antonio Gandia, offre un chant tout à fait correct, mais son jeu scénique s’avère rédhibitoire, l’acteur ne semblant absolument pas concerné par ce qui se passe autour de lui, et se borne à la même grimace figée quel que soient les sentiments à exprimer. Quant aux deux barytons en alternance, Luca Salsi et Stefano Antonucci, ils livrent l’un et l’autre une interprétation traditionnelle et plutôt solide, mais sans grande subtilité dans le phrasé, ni beaucoup plus dans le jeu. Les comprimari sont efficaces, avec une mention particulière pour la Flora lascive de Liliana Mattei et le Docteur Grenvil attachant de René Schirrer.
A l’image de la Traviata à l’affiche durant la même période au Grand-Théâtre de Genève, la proposition scénique signée par le directeur du théâtre monégasque Jean-Louis Grinda se coule dans une certaine tradition (elles ont aussi en commun d’être toutes deux placées sous le signe de la mort), se tenant ainsi à distance des relectures dont l’œuvre fait souvent les frais, comme à La Monnaie en décembre dernier. Quelques images et idées marquantes sortent toutefois résolument de l’ordinaire. Ainsi du flash-back du Prélude, où l’on voit Violetta évoluer dans un bordel miteux d’où vient la tirer le Baron Douphol en la rachetant à sa maquerelle. Cette autre scène également, particulièrement puissante émotionnellement et symboliquement parlant, pendant le chœur des bohémiennes puis des toréadors: une ballerine, qui incarne le double de Violetta, se voit d’abord humiliée par un groupe d’hommes, puis de plus en plus violentée jusqu’à être traînée par les cheveux puis violée, victime de leur désir brutal; l’ultime scène enfin, d’une rare violence, où le chœur applaudit à l’agonie de l’héroïne...
A la tête d’un Orchestre philharmonique de Monte-Carlo exemplaire de couleur et de souplesse, le chef italien Marco Armiliato enthousiasme par sa façon de mettre en valeur tous les détails de la partition, en faisant sonner très distinctement les différents pupitres et en jouant fortement les contrastes et les dynamiques. L’on n’omettra pas de souligner la tonicité et l’exactitude des chœurs, toujours aussi magnifiquement préparés par Stefano Visconti.
Pour ceux qui n’auraient pu voir le spectacle à Monte-Carlo, trois séances de rattrapage sont possibles à Saint-Etienne en mars prochain, avec une distribution entièrement différente... dont une certaine Joyce El-Khoury, dans le rôle de Violetta, qu’une flatteuse rumeur précède.
Emmanuel Andrieu
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